La croyance religieuse est-elle autre chose qu’une illusion ? Peut-on penser la foi en Dieu comme appelant à une « sortie hors du pays de l’omnipotence » infantile ? À ces questions délicates touchant au lien entre foi et vie psychique inconsciente, Nicole Jeammet répond dans un article disponible en ligne où elle montre comment l’histoire de Moïse peut-être lue comme exemplaire de la façon dont Dieu appelle à sortir de la confusion, de l’illusion et de l’emprise pour entrer dans l’échange et le partage. En s’appuyant sur la pensée de Winnicott et une lecteur attentive du texte biblique, elle répond à la critique freudienne de la religion. On trouvera ci-après le lien vers l’article, son plan, des extraits, et d’autres informations sur le même thème et sur Nicole Jeammet.
Afficher l’article
- « L’ambiguïté freudienne du religieux : l’histoire de Moïse ou la progressive levée de cette ambiguïté », dans B. Van Meenen et al., Qu’est-ce que la religion ? Presses de l’Université Saint-Louis, 2004, p. 41-61
Plan de l’article
- L’« autre » à l’orée de la vie, une pure illusion
- En terre d’Égypte, chacun agit seul
- En terre de Madiân, une loi partagée par tous médiatise les échanges
- Moïse retrouve accès aux événements fondateurs de son histoire
- Deux aspects sont là indissociables
Extraits de l’article
Qui suis-je ? Qui est l’autre ? Le problème n’est pas d’emblée celui de l’accord entre moi et l’autre, posés comme des entités allant de soi. Le premier problème est celui de leur progressive différenciation, à partir d’une expérience fondatrice d’entière confusion moi/autre, où les liens ont été éprouvés comme liens de dépendance passive et de besoin, engendrant inévitablement la haine et l’envie. Seule l’élaboration de ces sentiments négatifs à l’égard de l’objet aimé permet peu à peu, dans l’édification de nouveaux liens avec lui, de me construire dans ma différence, et de reconnaître la sienne […].
Cette indistinction, autre/soi, haine/amour, constitue le leurre fondateur de toute vie psychique — leurre qui, encore une fois, ne concerne pas l’objet en lui-même, mais la recherche désirante de cet objet, qui se confond avec le plaisir pris avec lui. […] Entre un enfant et sa mère se vit une parfaite illusion d’omnipotence, dans le déni de toute différence : ce leurre, fondement de toute vie psychique et affective, constitue un magma, duquel peut sortir le pire et le meilleur.
Or, que vise Freud quand il stigmatise dans le religieux “les désirs les plus anciens, les plus pressants de l’humanité”, si ce n’est ce leurre primitif ? […]
En revanche, tout homme garde de son enfance le goût plus ou moins actuel du merveilleux, dont le religieux est une des figures les plus puissantes. Spontanément, le discours religieux trouve un écho non pas dans ce qu’il y a de plus évolué dans l’homme, mais au contraire dans ce qu’il y a de plus archaïque, donc de plus dangereux […].
Ce risque de coupure avec l’autre et soi-même à travers le refus du vécu pulsionnel est le risque par excellence de toute religion ; nous rejoignons bien ici la critique de Freud concernant l’idéalisation. La religion, à l’instar de toute idéologie, peut implicitement servir ce qu’elle condamne explicitement : le fanatisme du refus de l’autre. En cela réside sans doute son aliénation la plus pernicieuse, la plus perverse ; au nom de l’Amour pur et idéal, et évidemment en toute bonne foi, l’autre, l’étranger, est nécessairement tenu à la porte de chez soi.
Les thèses freudiennes — nous l’avons déjà rappelé — accréditent donc l’idée suivant laquelle le “religieux” reste du domaine de l’illusion. Or, c’est précisément sous l’angle du processus de désillusionnement, inhérent à l’apprentissage d’une rencontre avec l’autre, et donc à toute “foi” en lui, que nous voudrions vous proposer de lire (ou de relire) une des histoires de la Bible, celle de Moïse. Reprenant quelques moments clefs de ce récit, précisément de cet “exode” — suivant son titre — nous allons nous demander si ce terme d’“exode” ne peut pas être entendu comme chemin de sortie hors du pays de l’omnipotence, — ici l’Égypte — vers une terre où l’autre serait enfin reconnu tel, cette “terre promise” dont le nom est Canaan […].
Parce que toi, Moïse, tu auras donné foi à ma parole d’envoi et que tu auras agi cette parole, alors tu auras expérimenté le Nom que je t’ai révélé et qui est pour tout homme projet de vie : “Je suis en train de devenir qui Je suis en étant avec toi”. Projet de vie qui fait sens pour tout homme, car par la continuité du lien, il est promesse d’identité, et par la nouveauté permanente de l’agir, il est promesse de différenciation.
Il me semble que cette représentation paradoxale de Dieu et de l’homme échappe aux critiques telles que les a formulées Freud car elle échappe à la volonté de puissance qui, avec le désir d’emprise, représente une formidable force de destruction […].
Sur le même sujet du rapport entre foi en Dieu et fantasme infantile d’omnipotence
- Voir un extrait du livre de J.-B. Lecuit, Le désir de Dieu pour l’homme, Cerf, 2017
- Voir un article de ce site sur « foi adulte ou infantile ? »
Sur l’athéisme de la psychanalyse
Autres articles de Nicole Jeammet
- Consulter d’autres de ses articles »
Ouvrages de Nicole Jeammet
Parmi ses nombreux ouvrages, certains touchent plus particulièrement aux rapports entre foi et psychanalyse :
- Entre toi et moi : La Découverte des possibles (2015)
- Le célibat pour Dieu (2009)
- Les Destins de la culpabilité (1998)
- Le Plaisir et le Péché : Essai sur l’envie (1998)
Vidéo sur religion et plaisir, avec Nicole Jeammet
Une émission de KTO avec notamment Nicole Jeammet (qui intervient notamment à 2’, 5’30, 23’30, 38’, 48’).
Les Mardis des Bernardins du 17/12/2013.
Tri des articles par catégorie