Santé psychique et union à Dieu (2)
Accompagnement spirituel et psychanalyse

Un grand livre de théologie spirituelle vient de paraître pour la première fois en français : Jalons pour la prière intérieure, de Ruth Burrows.
Il avait déjà été évoqué dans un article de ce site à propos de la question de savoir dans quelles mesures les phénomènes mystiques sont naturels ou surnaturels, où une première traduction de quelques extraits du livre consacrés à ces « phénomènes » avait été proposée.
Désormais, c’est l’ensemble de ce grand texte qui est disponible aux Éditions du Carmel (trad. Pauline de Cointet – de Vanssay et Alain Sainte-Marie).

Présentation des Jalons pour la prière intérieure

Cet ouvrage célèbre dans le monde anglo-saxon (sous le titre Guidelines for Mystical Prayer) transmet le témoignage de deux femmes aux cheminements différents mais profondément encourageants, Claire et Petra.
Chacune rend grâce d’avoir été conduite à la plénitude de l’union avec Dieu. Ruth Burrows nous partage le fruit de leurs échanges avec l’assurance et la puissance de conviction que l’on avait déjà pu découvrir dans le récit de sa vie, Face au Dieu vivant.
La valeur unique de ses propos tient d’abord à la singularité de l’expérience de Petra (alias Ruth Burrows) : alors que Thérèse d’Avila et Jean de la Croix décrivent le mariage spirituel comme précédé et accompagné de faveurs mystiques exceptionnelles, Petra déclare n’en avoir jamais bénéficié. Elle est toujours demeurée dans l’aridité et l’obscurité – expérience spirituelle proche de celle de Thérèse de Lisieux. 
Une conviction fonde et oriente le message spirituel communiqué dans ces Jalons pour la prière intérieure : puisque Claire et Petra (alias Ruth Burrows) ont été conduites à la plénitude de l’union à Dieu selon des modalités très différentes (lumineuse et accompagnée de grandes faveurs spirituelles, pour Claire, obscure et continuellement aride, pour Petra), c’est ce qui leur est commun, et non ce qui les différencie, qui constitue le cœur de la vie mystique chrétienne.
Ce cœur mystique est le cœur même de l’Évangile : Jésus totalement abandonné à son Père et donné aux hommes ; Jésus accueilli en soi comme don du Père, jusqu’à ce que la centration sur soi-même ait fait place à la complète union d’amour avec lui. Cette conviction née de la communion des expériences fut éclairée et soutenue par une réflexion bénéficiant de sources de connaissance inaccessibles du temps de Thérèse d’Avila et Jean de la Croix : la psychologie moderne, les neurosciences, l’étude des autres religions et spiritualités.
À la lumière de ces disciplines, il n’est plus possible de maintenir la conviction passée selon laquelle les phénomènes inhabituels tels que les suspensions de l’imagination, l’absorption de l’intelligence et de la volonté, les extases, les voix intérieures, les visions, viennent nécessairement de Dieu s’ils ne proviennent pas du démon ou de l’effort personnel.
Non pas dans leur contenu de foi, mais dans ce qu’ils ont d’inhabituel et d’indépendant de la volonté, ces phénomènes dits « mystiques » peuvent avoir des causes naturelles, telles que la privation de nourriture et de sommeil, des troubles neurologiques, certaines substances et pratiques méditatives, ou être tout simplement le fruit de l’inconscient psychique.

Voir la présentation de l’ouvrage sur le site de l’éditeur

Consulter l’avant-propos du livre (par J.-B. Lecuit) »

Extraits du livre

p. 96 :

Nous craignons d’accorder notre confiance à l’amour. Nous ne croyons pas réellement en l’amour éternel, immérité et gratuit de Dieu pour nous. Pourtant, cet amour doit être le rocher, le roc inébranlable sur lequel sont posées nos fondations. Dieu m’aime parce qu’il est bon ; non parce que je suis bon. Cette certitude doit être vécue à chaque instant de la journée. Dieu m’a fait dans le dessein de se donner à moi et il n’attend rien de moi, littéralement rien d’autre que de le laisser m’aimer, de le laisser se déverser sur mot en flots de joie infinie. Malgré tout, nous nous sommes curieusement mis dans la tête – et quand bien même elle en serait sortie elle reste gravée dans notre chair – l’idée que nous devons tout faire pour que Dieu nous aime. Cette idée que nous avons l’obligation de nous faire beaux afin d’être acceptables à ses yeux.

p. 126 :

 L’aspiration à la perfection est la plus désastreuse des erreurs dans lesquelles tombent les personnes bien intentionnées. Elle nourrit spécifique ment le vice qu’elle tend à détruire. La plupart des âmes ferventes sont disposées à livrer à Dieu leur moindre réalité mortelle, à se tuer à l’ouvrage, à offrir tout, excepté la seule chose qu’il veut : une confiance totale ; tout, hormis l’abandon entre ses mains aimantes « Devenez comme les enfants » qui n’ont comme vertu que de reconnaître leur impuissance.

p. 151 :

 Dieu est Dieu de toute nécessité, et nous devons le laisser être Dieu en prenant conscience que le seul moyen que nous avons de le payer de retour est de nous laisser aimer de lui. Pour nous, aimer, c’est nous laisser aimer. L’orgueil humain en prend un sacré coup.

p. 186 :

Notre couardise et notre orgueil sont experts dans l’art de se débarrasser des saints. Nous ne les brûlons pas, nous les mettons sur un piédestal, ce qui revient à les poser sur une étagère. Ainsi, ils ne nous mettent plus au défi, ils cessent d’être des femmes et des hommes de chair et d’os comme nous. Du coup, ils deviennent tout à fait spéciaux : ils ont reçu quelque chose que nous n’avons pas. Ils ne sont pas vraiment issus de la souche commune. La fleur de la sainteté ne pousse pas sur notre sol. On ne peut rentrer en compétition avec des êtres si haut hissés au-dessus de nous.

p. 187 :

Seul celui qui nous est proche et qui fait ce que nous ne faisons pas, qui devient ce que nous ne devenons pas, nous effraie : il est celui dont il faut se débarrasser. De plus, nous retirons, par procuration, une certaine satisfaction à voir l’un d’entre nous élevé à une condition Surhumaine. Nous nous plaisons à penser que telle est réellement la nature humaine. Mais les saints ne se sont jamais sentis magnifiques et sublimes

[…] M’est avis que Dieu ne savait plus quoi faire lorsqu’il nous donna la petite Thérèse. Au moins, cette petite-là, ils ne pourront pas la mettre sur un piédestal ! Mais si, nous l’avons fait! Avec quelle ingéniosité n’avons-nous pas escamoté sa confession rigoureuse et entêtée sur la vraie nature de la sainteté, qui est destruction de l’orgueil humain ! Elle fut parmi nous telle une lumière incandescente, éclatante. Mais la lumière émanant de cette petite était trop pénétrante, trop bouleversante. Nous avons préféré les ténèbres à pareille lumière.

Sur Ruth Burrows, voir

Ruth Burrows and the Modern World

The Gospel Mysticism of Ruth Burrows: Going to God with Empty Hands

Autres textes de Ruth Burrows, disponibles en ligne :

Prayer in an easter community

Where I can best give myself wholly to God

Lose Yourself: Getting past ‘me’ to ‘thee’

Sur la question des phénomènes mystiques, voir aussi, sur ce site :

Phénomènes mystiques et psychologie

L’origine des phénomènes mystiques

Les visions de Thérèse d’Avila à la lumière des neurosciences et de la psychanalyse

Les visions de Thérèse d’Avila à la lumière des neurosciences et de la psychanalyse (2)

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