Violences sexuelles dans l’Église catholique et psychologie (3)
Emprise et dérives sectaires au sein de l’Église catholique

Ruth Burrows, le grand auteur spirituel déjà évoqué sur ce site à propos du rôle de l’inconscient dans les phénomènes mystiques, est une carmélite anglaise célèbre de longue date dans le monde anglophone pour la profondeur et la puissance de transformation de son témoignage et de sa pensée. Un des ses ouvrages les plus importants vient d’être traduit en français, peu de temps après Face au Dieu vivant (2021), Jalons pour la prière intérieure (2021), et La montée vers l’amour (2021)

Il s’agit de Croire en Jésus (Éditions des Béatitudes, 2022), traduction de To Believe in Jesus (HiddenSpring, 2010, première édition 1978).

Dans cet ouvrage d’une simplicité et d’une profondeur rares, Ruth Burrows (sœur Rachel, du Carmel de Quidenham, en Angleterre), essaye, comme elle le dit dans l’introduction, « de développer ce que la foi en Jésus signifie vraiment, à quel point elle est rare, comment elle s’acquière, comment elle grandit et finit par s’épanouir en union parfaite avec lui ou transformation en lui » (p. 14).

Elle y expose le cœur de la foi chrétienne, qui est aussi celui de l’expérience et de l’enseignement de grandes figures mystiques de la tradition comme Julienne de Norwich, Thérèse d’Avila, Jean de la Croix ou Thérèse de Lisieux.

Mais ce cœur évangélique de la vie de foi est vécu, pensé et actualisé par une femme de notre temps, qui a pu relire la tradition à la lumière de la théologie et de l’exégèse biblique contemporaines, du concile Vatican II, des sciences humaines comme l’histoire ou la psychologie.

Le message des Jalons pour la prière intérieure est ainsi mis à la portée du plus grand nombre : « je voudrais convaincre toute personne qui lira ces pages que Dieu l’appelle et qu’il veut lui offrir l’union la plus intime. Cette union n’est pas la prérogative d’un petit nombre de privilégiés, mais un droit de naissance »  (p. 17).

Autrement dit, l’essentiel de la vie mystique est l’union à Dieu, et cette union est offerte et accessible à tous, même à ceux dont la vie de foi, comme c’est le cas pour Ruth Burrows elle-même, est exempte de tout « phénomène » mystique : « la sainteté est accessible à tous. Nous devons simplement avoir une confiance tellement absolue en Jésus que nous devons tout remettre en lui » (p. 18).

Lire des extraits de Croire en Jésus

p. 92

Le fait de ne pas accepter la pauvreté innée de notre condition fait que nous sommes dominés par l’angoisse. Est-ce surprenant, en péril et menacés comme nous le sommes ? Nous nous engageons sans cesse, sans vouloir le reconnaître, à essayer de conjurer le mal, de nous protéger et de nous cacher à nous-mêmes notre condition vulnérable. Nos relations avec Dieu sont pleines d’angoisse. Nous sommes déterminés à essayer de calmer un Dieu exigeant, qui est sur le qui-vive pour nous prendre en faute ou, pour le dire plus gentiment, un Dieu qui ne sera bon avec nous que lorsque nous aurons payé notre dette complète d’holocaustes et de souffrances du péché, un Dieu auquel nous ne pouvons pas nous fier pour être généreux. Bien sûr, c’est inconscient, et nous sommes prêts à nous convaincre que nous agissons par amour et par générosité. Seul Dieu peut nous révéler le véritable état des choses. Nous devons être prêts à renoncer à choisir la sécurité, et apprendre à avoir totalement confiance en la bonté de Dieu. Nous sommes les enfants bien-aimés de Dieu et devons vivre comme tels. Ce qui signifie que nous devons mourir à notre autoprotection, auto-approbation, autosuffisance, et ce qui signifie aussi la mort de toute peur.

p. 112

Nous aspirons passionnément à la sécurité de trouver notre place et d’être accepté par les autres. Cette acceptation semble nous confirmer, et son refus, nous ébranler. Inconsciemment, dans une grande mesure, nous avons tendance à nous construire sur la bonne opinion que les autres ont de nous et, d’autre part, nous nous dégonflons s’ils nous désapprouvent. Derrière cela se cache la peur de notre propre pauvreté. La peur nous conduit çà et là dans une quête désespérée d’être rassurés. La seule réponse est l’acceptation confiante de notre petitesse innée, sûrs de l’amour de notre Seigneur pour nous. Si nous acceptons, si nous sommes sûrs de son amour, alors cela ne nous dérange pas de découvrir de plus en plus nos faiblesses intérieures. Nous savons que nous avons une réponse en lui, nous n’avons pas à trouver notre propre réponse. Il est le seul à qui nous devons plaire, et nous lui plaisons en lui faisant confiance dans notre état de péché.

Nous aspirons nous aussi à nous décharger de la responsabilité des risques inhérents à la gestion de notre vie, à notre prise de décisions. Nous pensons, inconsciemment, que nous pouvons déplacer cela sur les épaules de la collectivité, pour, du coup, être à l’abri de tout reproche. La famille, un ordre religieux, l’Église en tant qu’institution – tout cela peut être le /113/ centre d’identification. Notre pauvreté est couverte dans cette identification. Nous ne réalisons pas à quel point nous manquons de liberté. Jésus veut que nous ayons nous aussi la liberté de nous tenir devant son Père, obéissants à sa volonté, souples, sur nos gardes. La passion de la sécurité peut nous rendre inflexibles, peut faire que nous refusons de changer, nous accrochant à des structures et à des attitudes dépassées. D’autre part, des instincts tout aussi immatures peuvent nous conduire à des changements imprudents d’un état de vie à un autre, d’une communauté à une autre, à un engouement pour l’expérience et l’épanouissement.

p. 142

La peur du plaisir est si profondément enracinée dans la tradition chrétienne, telle qu’elle nous est parvenue, particulièrement le plaisir intense comme dans le sexe, que bien que le bon sens et une sagesse innée permettent maintenant aux chrétiens ainsi libérés de l’accepter, néanmoins la culpabilité persiste. Peut-être cela signifie-t-il simplement que nous nous sentons disqualifiés de la vraie sainteté. Et peut-être que voir une carmélite insister, en disant que cette peur profondément ancrée dans le système sanguin de l’Église est mauvaise, semble ironique. Peut-être que quelqu’un va se retourner et dire, « Eh bien, si vous êtes tellement convaincue que l’acceptation des grands plaisirs de la vie est non seulement non [1] incompatible avec la sainteté, mais y est normalement essentielle, pourquoi vous êtes-vous sentie obligée d’y renoncer ? Cela ne peut pas être juste pour certains et pas pour d’autres ». La réponse est simplement une question de vocation. Certains sont invités à renoncer à des plaisirs, mais /143/ c’est anormal et dangereux en soi. Ce renoncement est une forme de ministère dans l’Église : le reste de la famille, qui a vocation à aller à Dieu par le bon usage de toutes ces bonnes choses, peut en fait les employer d’une manière pure au service de l’amour. Le plaisir, c’est justement de nous inciter à la plénitude de la vie et cela signifie à la plénitude de l’amour. L’amour et la vie sont un bien plus grand que tous les plaisirs de ce monde ; ces derniers volent facilement la première place. Le fait que certains y renoncent par égard [for the sake of] pour la vie et l’amour fait clairement briller la fin. En outre, la fonction particulière des religieux contemplatifs exige de poser cette limite, sinon ce serait comme un obstacle à leur fonction. Personne ne peut tout faire, toute spécialisation exige des renoncements.

Ce renoncement du religieux n’est que relatif, pas absolu. Personne ne peut renoncer à tout plaisir, sinon ce serait nier à la personne son humanité. Nous avons un besoin absolu de plaisir. En dehors du sexe, où le renoncement est total [pour les religieux], il ne s’agit que de degrés. De plus, l’intensité du plaisir n’est pas proportionnelle à l’auto-indulgence ; l’auto-indulgence peut émousser le plaisir, alors que l’autodiscipline peut l’aiguiser. Peut-être que nous obtenons plus de plaisir de nos petits plaisirs que d’autres des leurs. Devenir atrophié, ratatiné, mesquin pour rejeter des plaisirs et des délices que Dieu a semés sur notre chemin est une insulte à l’amour. Il ne nous en remerciera pas.

[1] Le mot « non » a été oublié dans la traduction publiée… Cf. l’original : not only not incompatible with holiness 

Remarques sur la traduction proposée dans Croire en Jésus

La traduction est un art difficile, et certains choix ou distractions peuvent conduire à des difficultés de lecture, comme c’est parfois le cas dans Croire en Jésus, ce qui donne parfois une allure étrange aux propos de Ruth Burrows. Voici quelques exemples, signalés par l’auteur de ce site, pour faciliter l’accès à la vérité du texte : 

  • graphically est traduit par graphiquement, p. 22, au lieu de « de façon très imagée » 
  • self-indulgence est traduit par « auto-indulgence », p. 143, au lieu de « complaisance envers soi-même », « habitude de ne rien se refuser »
  • take it on faith est traduit par « prendre par la foi », p. 146, au lieu de « avoir confiance que »
  • packing up est traduit par « faire nos paquets », au lieu de « laisser tomber », ou « faire nos valises », p. 169

Des erreurs ou imperfections

  • gift est traduit par « cadeau », au lieu de « don », plus approprié quand Dieu est le donateur (p. 22, 147)
  • wrong est traduit par « faux », au lieu de « mauvais » (p. 25 : « tout cela est wrong = mauvais », d’après le contexte)
  • oubli du mot « non » p. 142 (voir extrait ci-dessus, sur la compatibilité entre sainteté, plaisir et sexualité)
  • surrendering est traduit par « soumission » (au Père), au lieu d’« abandon », ou « remise de soi », p. 147, cf. p. 151.
  • He needs no winning est traduit par « Il [Dieu] n’a pas besoin de gagner », p. 158, au lieu de « Il n’a pas besoin qu’on le gagne » (d’après le contexte).
  • p. 180  : « La personne sait qu’il sait », au lieu de « La personne sait qu’elle sait »
  • p. 180 : « Le véritable ami de Jésus ne dira que ce que Jésus dit, et cela signifie ce que dit vraiment l’Église, cachée comme il n’est pas rare qu’elle le soit, dans beaucoup de mensonges », au lieu de « … caché comme il n’est pas rare que cela le soit, … »
  • p. 190 : « Nous lisons notre jugement dans votre visage », au lieu de « … sur ton visage »

Texte original et traduction du premier chapitre de To Believe in Jesus (Croire en Jésus)

Autres ouvrages de Ruth Burrows

  1. Présentation de Face au Dieu vivant sur le présent site
  2. Présentation de Jalons pour la prière intérieure, sur le présent site
  3. Recension de ces deux ouvrages par Anne Lécu dans la revue Christus
  4. Voir aussi le bas de cette autre page

 

 

 

 

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