Réflexions psychologiques sur le devenir humain et chrétien du prêtre
Un article sur l’habitation de Dieu en l’homme

Antoine VergoteDisponible sur ce site, un article introuvable d’Antoine Vergote sur « la fonction opérative du nom de Dieu » (1981).

Dans cette étude très éclairante, le psychanalyste, psychologue de la religion et théologien belge reconstitue les liens entre foi, religion, langage et foi originelle dans le sens du monde. Il s’appuie sur les données de l’anthropologie religieuse, de la linguistique, de la phénoménologie et de la psychanalyse, ainsi que sur son expérience et sa connaissance de la foi chrétienne.

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Extraits de l’article

Sur la foi comme originalité de la religion biblique

p. 81 : « C’est le message monothéiste d’Israël qui a donné naissance au terme foi comme la notion qui y correspond de manière spécifique ; parole et foi correspondent. Dans le christianisme, la catégorie de la foi est centrale comme l’attitude qui se trouve en accord avec la révélation. Dans aucune autre religion, le terme foi ne s’est vu octroyer une place aussi centrale. Dans le christianisme, il devient un mot-clé, /82/ parce qu’il signifie la connaissance confiante du Dieu qui entre dans l’histoire par l’avénement de Jésus-Christ. Dans les religions primitives, on ne connaît pas de mot pour désigner l’acte mental qui pose l’existence du divin, des dieux ou de Dieu, et qui affirme et articule par ailleurs leur action. Même les Grecs n’avaient pas conscience de croire en leurs dieux; ils les “reconnaissaient” et de la sorte s’acquittaient d’un devoir de piété. Ce serait donc une erreur de rétroprojecter notre catégorie de foi, qui est à vrai dire singulière et constitue un solécisme dans le langage religieux, sur d’autres formes de la conscience religieuse »

Sur le rapport entre la religion et la « foi originelle » en un sens du monde, que présuppose toute pensée

p. 85 : « Si l’on se soucie de situer la religion comme foi dans un ensemble plus vaste, on découvre alors ce que Husserl a été le premier à thématiser en philosophie et ce que Merleau-Ponty a repris, à savoir que la raison théorique est précédée et enveloppée par la foi. Pourquoi sommes-nous préoccupés de comprendre ? D’où vient cette passion de trouver des explications ? De la conviction initiale que les choses ont un sens. C’est dire qu’il y a un a priori qui fait partie de notre structure mentale et qui est essentiel pour notre existence : la foi dans le sens du monde. Il s’agit en l’occurrence d’une foi originelle, d’une Urglaube

[foi originelle, en allemand]. C’est précisément cette foi qui anime et informe la raison théorique. La foi originelle n’est pas encore la foi religieuse. Mais il est important de constater que, dans son évolution, la raison théorique se fonde sur quelque chose qui est plus originel encore, à savoir la certitude confiante que les choses ont un sens.

Le langage, en tant qu’il présuppose sens et dialogue, et l’origine de la foi religieuse

p. 86 « D’où vient donc cette foi originelle, primitive ? C’est là une question cruciale et la réponse qui sera donnée sera déterminante pour l’orientation d’une théorie de la religion. Y a-t il en vérité une explication psychologique ou sociologique de la foi ? Nous ne trouvons pour notre part qu’une seule réponse décisive à la question de l’origine de la “foi” : la foi primitive nous est donnée en même temps que le langage lui-même. Pour peu qu’on s’engage dans le langage, on s’attend à ce que les choses aient un sens. Le langage comme tel a un pouvoir oraculaire. C’est là que réside en dernière analyse la source des intuitions concernant le divin, des énoncés oraculaires et de la foi religieuse. Grâce à cette foi confiante, qui nous est donnée en même temps que le langage, et par lui, nous sommes à même de comprendre et de situer la foi religieuse. Le langage implique la remarquable conviction que rien n’est dénué de signification. Celui qui suppose qu’il y a des choses qui n’ont pas de sens n’est pas en mesure de parler. Un deuxième a priori du langage soutient que parler renferme une référence implicite à un autre sujet, à un tu. Sitôt qu’il parle l’homme se place au sein d’une relation intersubjective. Que l’on se souvienne de l’étude de Benveniste sur ce point : il constate que tous les langages sont caractérisés par un certain nombre de structures fondamentales, entre autres par celle des trois pronoms personnels : je, tu, il. Celui qui parle s’affirme comme sujet de langage en acte, dans une référence à un tu. L’autre personne est une donnée irréductible, inhérente au pouvoir de parler. Lorsque celui qui parle se pose en sujet, il entre, en vertu de la structure du langage, dans une relation à un tu, avec lequel il peut changer de place en devenant son interlocuteur. Celui qui prend la parole se situe d’emblée dans un rapport dialogal. En réunissant ces deux implications fondamentales du langage, on y trouvera peut-être l’origine de la foi religieuse. Une longue expérience en matière de psychologie religieuse nous a convaincu que si la psychologie veut être scientifique, elle doit renoncer à prétendre expliquer génétiquement l’idée de Dieu. »

Le rôle du signifiant « Dieu » dans le développement psychologique et religieux

p. 91 « Nous ramenons donc l’explication à un domaine subalterne. Il s’opère une interaction entre, d’une part, Dieu comme le signifiant et celui auquel réfère la foi, et, d’autre part, des éléments psychologiques qui déterminent ce que l’homme pense, se représente consciemment et vit effectivement. Interaction veut dire qu’il y a une influence réciproque, à l’instar de ce qui se passe lorsque l’enfant découvre l’autre. D’un point de vue religieux, le développement psychologique est également, par essence, régi par le langage. Le langage sur Dieu, et déjà rien que le signifiant Dieu, orientent pour une grande partie le développement psychologique de l’homme. Nous n’excluons pas de la sorte tout ce que la genèse de la personne, qui représente un déroulement compliqué, peut entraîner de modifications dans les représentations de Dieu et l’expérience vécue des relations religieuses. Rien qu’en introduisant dans le langage le mot Dieu comme signifiant avec un référent, l’homme se situe dans un contexte et cela fait surgir pour lui toute une série de questions existentielles. Car, en ce que le mot Dieu se détache des autres signifiants, il exerce une certaine puissance, voire une certaine violence sur la psychologie de l’homme. »

 

 

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