[foi originelle, en allemand]. C’est précisément cette foi qui anime et informe la raison théorique.
La foi originelle n’est pas encore la foi religieuse. Mais il est important de constater que, dans son évolution, la raison théorique se fonde sur quelque chose qui est plus originel encore, à savoir la certitude confiante que les choses ont un sens.Le langage, en tant qu’il présuppose sens et dialogue, et l’origine de la foi religieuse
p. 86 « D’où vient donc cette foi originelle, primitive ? C’est là une question cruciale et la réponse qui sera donnée sera déterminante pour l’orientation d’une théorie de la religion. Y a-t il en vérité une explication psychologique ou sociologique de la foi ? Nous ne trouvons pour notre part qu’une seule réponse décisive à la question de l’origine de la “foi” : la foi primitive nous est donnée en même temps que le langage lui-même. Pour peu qu’on s’engage dans le langage, on s’attend à ce que les choses aient un sens. Le langage comme tel a un pouvoir oraculaire. C’est là que réside en dernière analyse la source des intuitions concernant le divin, des énoncés oraculaires et de la foi religieuse. Grâce à cette foi confiante, qui nous est donnée en même temps que le langage, et par lui, nous sommes à même de comprendre et de situer la foi religieuse. Le langage implique la remarquable conviction que rien n’est dénué de signification. Celui qui suppose qu’il y a des choses qui n’ont pas de sens n’est pas en mesure de parler. Un deuxième a priori du langage soutient que parler renferme une référence implicite à un autre sujet, à un tu. Sitôt qu’il parle l’homme se place au sein d’une relation intersubjective. Que l’on se souvienne de l’étude de Benveniste sur ce point : il constate que tous les langages sont caractérisés par un certain nombre de structures fondamentales, entre autres par celle des trois pronoms personnels : je, tu, il. Celui qui parle s’affirme comme sujet de langage en acte, dans une référence à un tu. L’autre personne est une donnée irréductible, inhérente au pouvoir de parler. Lorsque celui qui parle se pose en sujet, il entre, en vertu de la structure du langage, dans une relation à un tu, avec lequel il peut changer de place en devenant son interlocuteur. Celui qui prend la parole se situe d’emblée dans un rapport dialogal. En réunissant ces deux implications fondamentales du langage, on y trouvera peut-être l’origine de la foi religieuse. Une longue expérience en matière de psychologie religieuse nous a convaincu que si la psychologie veut être scientifique, elle doit renoncer à prétendre expliquer génétiquement l’idée de Dieu. »
Le rôle du signifiant « Dieu » dans le développement psychologique et religieux
p. 91 « Nous ramenons donc l’explication à un domaine subalterne. Il s’opère une interaction entre, d’une part, Dieu comme le signifiant et celui auquel réfère la foi, et, d’autre part, des éléments psychologiques qui déterminent ce que l’homme pense, se représente consciemment et vit effectivement. Interaction veut dire qu’il y a une influence réciproque, à l’instar de ce qui se passe lorsque l’enfant découvre l’autre. D’un point de vue religieux, le développement psychologique est également, par essence, régi par le langage. Le langage sur Dieu, et déjà rien que le signifiant Dieu, orientent pour une grande partie le développement psychologique de l’homme. Nous n’excluons pas de la sorte tout ce que la genèse de la personne, qui représente un déroulement compliqué, peut entraîner de modifications dans les représentations de Dieu et l’expérience vécue des relations religieuses. Rien qu’en introduisant dans le langage le mot Dieu comme signifiant avec un référent, l’homme se situe dans un contexte et cela fait surgir pour lui toute une série de questions existentielles. Car, en ce que le mot Dieu se détache des autres signifiants, il exerce une certaine puissance, voire une certaine violence sur la psychologie de l’homme. »