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Voici une présentation et une recension de l’importante anthropologie théologique proposée par Bernard Sesboüé, sous le titre L’homme, merveille de Dieu, Salvator, 2015

Recension de l’ouvrage :

(par J.-B. Lecuit, auteur de ce site)

Avec l’ouvrage de Bernard Sesboüé sur L’homme, merveille de Dieu, nous disposons enfin d’une anthropologie théologique récente et complète en langue française (celle de Luis Ladaria est la traduction d’un ouvrage italien de 1995). Le rapport inverse entre le mouvement de la révélation (du salut au péché et à la création) et le mouvement historique du salut (création, péché, puis salut) pose un problème de méthode : conformer l’ordre d’exposition au mouvement historique est plus aisé, mais on court le risque d’isoler ses trois composantes et de subordonner la signification du salut à celle du péché. L’A. évite cet écueil en inscrivant « l’ordre de la révélation dans celui de l’histoire », dans un perspective plus « structurelle » qu’historique (23). Comme cela est devenu classique, il réfère la totalité de son anthropologie au mystère du Christ sauveur.

Dans la première partie, intitulée « L’homme créé », il commence par clarifier la différence entre le commencement et ce qui en constitue le sens, c’est-à-dire l’origine. Après avoir précisé le caractère mythologique et la signification structurelle des récits de création, il met en lumière le paradoxe de l’homme créé pour voir Dieu, mais incapable d’atteindre l’infini qui s’offre gratuitement à son désir « nécessaire » (56). Les traitements patristiques, médiévaux et modernes (Lubac, Rahner) de ce paradoxe sont ensuite exposés. Cette première partie s’achève par la réponse à des objections modernes à la vision biblique de l’être humain. Une place significative y est donnée aux questions d’anthropologie sexuelle, comme celles de l’homosexualité ou du genre. L’idée centrale est que la condition humaine est inscrite dans trois grandes différences structurantes : avec Dieu, avec l’animal, et entre homme et femme.

La seconde partie, presque aussi longue, est consacrée à « L’homme pécheur ». La question est abordée successivement sous les angles biblique, patristique (Irénée et Augustin), dogmatique (Trente) et philosophique (de Kant à Freud). Une anthropologie de la mort et du péché originel est ensuite proposée : d’une description phénoménologique du mal et du péché du monde, l’A. passe à l’accueil de la révélation chrétienne du péché du monde : la radicalité du salut révèle celle du péché affectant universellement tout être humain, « radicalement pécheur », marqué par un « état de péché » (au sens analogique) impliquant une « désorientation » par rapport à Dieu et un « désordre du désir » (257). La réflexion s’achève par la défense, inspirée de Rahner, de la thèse classique selon laquelle le caractère universel de ce péché « originé » tient au mauvais usage de la liberté humaine, dès le commencement, qui échappe à toute représentation et se voit évoqué « sous la forme imagée

[du] récit » de la chute d’Adam et Ève.

La troisième partie, sensiblement plus brève, expose l’essentiel de « L’annonce chrétienne du salut pour le bonheur de l’homme ». L’accent y est mis sur l’anthropologie christologique de Gaudium et Spes, puis sur l’agir salvifique sacramentel du Christ. Seules trois petites pages sont consacrées à la résurrection. Le dernier chapitre évoque successivement l’Église comme sacrement du salut et la vie éternelle.

C’est à juste titre que la valeur de l’ouvrage, pour lequel Bernard Sesboüé a reçu le prix Siloé-Pèlerin, a été soulignée dans la presse. On y retrouve les qualités pédagogiques, la grande érudition et la largeur de vue de l’A., qui ose affronter les questions actuelles les plus délicates, comme celles du genre ou du transhumanisme. On peut toutefois regretter un certain nombres de limites, qui ne tiennent pas toutes au choix de s’adresser à un public non spécialisé. L’affirmation que l’homme est créé pour voir Dieu n’est que très rapidement fondée sur 1 Jn 3, 2 (seule référence biblique fournie, p. 49) et la pensée d’Irénée, alors qu’elle gouverne la conception d’ensemble de la première partie et de l’ouvrage entier. Il est très étonnant que le mystère de la grâce ne soit abordé que sous l’angle christologique et pneumatologique : la question essentielle du rapport entre grâce et liberté n’est traitée que par un résumé de la pensée d’Augustin, celle de l’inhabitation trinitaire n’est pas traitée, et celle de la justification n’est évoquée qu’en une simple page. En comparaison, le péché originel reçoit un traitement disproportionné. D’assez nombreuses citations sont données sans référence, et la bibliographie, parfois datée, privilégie excessivement les auteurs francophones (à l’exception de Rahner) et jésuites : l’importante étude de J.-M. Maldamé sur le péché originel n’est même pas citée, pas plus que les grandes anthropologies théologiques d’un Pröpper ou d’un Ruiz de la Peña. En ce qui concerne les questions contemporaines, on peut s’interroger sur la facilité avec laquelle « la [?] pulsion homosexuelle » est jugée anormale, ou sur le privilège accordé à la différence sexuelle en ce qui concerne les différences constitutives de l’humain : la différence entre parent et fils ou fille n’est même pas mentionnée, alors qu’elle est au moins aussi radicalement structurante (la loi du père interdisant la fusion avec la mère vaut pour les deux sexes) et, surtout, alors qu’elle intervient analogiquement dans la relation entre l’homme à Dieu (qui est fondamentalement filiale), beaucoup plus que la différence sexuelle. Quelle portée concrète a cette dernière en ce qui concerne les réalités essentielles du rapport à Dieu et au salut : dignité personnelle, grâce, péché, justification, inhabitation trinitaire, divinisation, vision de Dieu, résurrection ? Ces quelques remarques n’enlèvent rien à la grande valeur d’un ouvrage bien conçu, ouvert et éclairant, dont on ne peut que souhaiter qu’il soit complété par un autre sur l’être humain et la grâce de Dieu.

Vidéo de présentation de l’ouvrage :

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