Un article nouvellement paru : Jean-Baptiste Lecuit, « L’inhabitation trinitaire. Approche théologique à la lumière de la philosophie contemporaine de l’acte de parole », dans Nicolas Bauquet, Xavier d’Arodes de Peyriague et Paul Gilbert (dirs), Nous avons vu sa gloire : Pour une phénoménologie du Credo, (coll. « Donner raison », 36), Bruxelles, Lessius, 2012, pp. 35-50.
Cet ouvrage rassemble un cycle de dialogues ouvert par Jean-Luc Marion, et qui a réuni à Rome en 2010-2011 des philosophes et des théologiens dans une démarche inédite. Il s’agissait de parcourir le Credo en le mettant sur un nouveau métier, celui de la phénoménologie. Au tournant du XXIe siècle, des théologiens ont en effet adopté avec rigueur et bonheur la méthode phénoménologique, qui est d’origine philosophique. De leur côté, des philosophes ont été poussés par la même méthode en direction de thèmes théologiques.
Début de l’article :
L’inhabitation trinitaire.
Approche théologique à la lumière de la philosophie contemporaine de l’acte de parole
Au moment de faire converger les regards théologique et philosophique sur la question de la Trinité, il est bon de se remémorer une célèbre affirmation de Kant dans un passage traitant du conflit entre la faculté de théologie et la faculté de philosophie : « Du dogme de la Trinité, pris à la lettre, on ne saurait absolument rien tirer pour le pratique ». Si cette remarque sonne comme un défi aux théologiens, est-ce seulement parce qu’elle semble frapper d’inanité le cœur même de la foi chrétienne ? N’est-ce pas aussi parce qu’elle dit tout haut ce que beaucoup pensent tout bas : en quoi suis-je personnellement concerné par le mystère de la Trinité ? « Que nous ayons à honorer trois ou dix personnes dans la Divinité, poursuit Kant, le novice l’admettra sur parole avec une égale facilité, parce qu’il n’a aucune idée d’un Dieu en plusieurs personnes, bien mieux encore, parce qu’il ne peut tirer de cette différence des règles différentes pour la conduite de sa vie [Emmanuel Kant, Le conflit des Facultés, Vrin, 1973, p. 42 (Der Streit der Fakultäten, 1798, Werke, IX, 1971, 303-304)]. » Sommes-nous sûrs de ne pas devoir en dire autant de beaucoup de « novices » en théologie de l’époque présente ? On dira peut-être que cette supposition ne doit pas être généralisée, car les dernières décennies ont heureusement connu une revalorisation de la théologie et de la pastorale de l’Esprit Saint, l’hôte intérieur par excellence, et, de ce fait même, un regain d’intérêt pour la vie spirituelle et la présence intérieure de la Trinité en l’homme. Il n’en reste pas moins qu’une approche théologique contemporaine de cette inhabitation trinitaire est requise. Dans son élaboration, plusieurs exigences doivent être honorées : 1. prendre en compte de façon renouvelée les formulations néotestamentaires, de façon à éviter les conclusions de l’approche classique qui s’en éloignent (par exemple l’affirmation que le « Notre Père » s’adresse en réalité à toute la Trinité) ; 2. dans cette même perspective, poursuivre les efforts de théologiens visant, dans les années postconciliaires, à une approche plus personnaliste de l’inhabitation trinitaire, et moins causaliste que par le passé ; 3. pour ce faire, tenir compte des contributions théologiques et conciliaires à une approche dialogale de l’auto-donation trinitaire ; 4. en soulignant l’enracinement biblique et la signification anthropologique de cette structure dialogale, tenir un discours davantage accessible à nos contemporains, et fructueux sur le plan pastoral ; 5. dans cette entreprise, tirer profit des nombreuses ressources de la philosophie contemporaine, notamment phénoménologique, pour penser l’auto-donation personnelle dans sa dimension dialogale. Conformément aux objectifs de cet exposé, c’est ce dernier point que j’explorerai en priorité
Plan de l’article :
I. L’analogon de la donation durable du locuteur en son allocutaire
1. L’auto-donation du locuteur en sa parole
2. L’intériorisation du locuteur en l’allocutaire
3. La durabilité de l’autodonation dialogale
4. Le concept de donation du locuteur en l’allocutaire
II. La structure dialogale de l’inhabitation
1. L’habitation trinitaire, acte de parole
2. Les caractéristiques essentielles de l’inhabitation inhérentes à sa structure dialogale
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