L’efficacité et la validité rationnelle de la psychanalyse et des psychothérapies psychanalytiques sont régulièrement mises en doute.

Trop peu de publications psychanalytiques ou philosophiques de qualité affrontent ce sérieux problème.

Ce manque est heureusement compensé par la parution de quelques articles récents, disponibles en ligne, en texte intégral ou sous forme synthétique.

Voici les liens vers ces articles, suivis d’une brève présentation :

Cet article rassemble les réflexions d’un scientifique sur les possibilités théoriques, pratiques et méthodologiques d’un usage de la science dans le domaine de la psychanalyse. Ces réflexions s’articulent autour de 7 propositions : proposition 1 : la psychanalyse est un soin, une théorie et une méthode d’investigation de l’inconscient reposant sur la pratique d’associations libres ; proposition 2 : la science est une pratique collaborative critique, reposant sur des observations méticuleuses regroupées au sein d’une théorie ; proposition 3 : psychanalyse et démarche scientifique sont compatibles [proposition 3.1 : le psychanalyste est un scientifique impliqué dans une action de soin ; proposition 3.2 : la théorie psychanalytique peut conduire à formuler des hypothèses réfutables par des expériences reproductibles] ; proposition 4 : de multiples résistances expliquent les difficultés à accepter la compatibilité entre psychanalyse et démarche scientifique ; proposition 5 : les travaux scientifiques réalisés en lien avec la psychanalyse ne concernent généralement pas la théorie psychanalytique ; proposition 6 : il existe des designs expérimentaux simples permettant d’aborder scientifiquement la théorie psychanalytique ; proposition 7 : la psychanalyse a beaucoup à gagner et peu à perdre à s’engager dans une démarche scientifique.

Objectif

La psychanalyse comme l’épistémologie posent de multiples questions, suscitent débats et polémiques vives. Sans vouloir reprendre le débat déjà ancien sur la nature scientifique de la psychanalyse, nous souhaitons interroger sa place dans une épistémologie contemporaine, plus épistémologie de la recherche que de la science. Nous proposons de penser l’épistémologie psychanalytique aux frontières – entre théorie et clinique, recherche et pratique de la cure mais aussi avec d’autres disciplines hybrides comme la psychiatrie.

Méthode

À partir du constat que les progrès dans les sciences comme la physique ont fait renoncer à l’illusion d’une théorie universelle de la connaissance et fait voler en éclat l’affirmation d’une unicité de la conception de l’épistémologie, nous étudions les spécificités de l’épistémologie psychanalytique, ainsi que les conceptions actuelles de l’épistémologie dans le domaine des sciences, de la recherche et de l’évaluation. Nous nous intéressons à la métapsychologie comme épistémologie freudienne ainsi qu’à ses limites et les critiques qu’elle suscite.

Résultat

La psychanalyse porte une forme spécifique de savoir basée sur l’hypothèse de l’inconscient. Elle est un objet hybride avec une causalité hypercomplexe qui mêle nature, culture et clinique. Penser son épistémologie s’inscrit dans une logique processuelle de la notion d’obstacle épistémologique plus que d’impasse épistémologique. La vivance de l’épistémologie psychanalytique repose à la fois sur sa capacité à se confronter à la clinique et aux progrès des autres sciences comme les sciences du chaos ouvrant à des causalités non linéaires et à prendre en compte les structures dissipatives. L’épistémologie de la recherche en psychanalyse nécessite de proposer des compromis mais ouvre à un travail de frontière et à mettre au travail un écart métapsycho-épistémologique.

Discussion

La possibilité d’une épistémologie psychanalytique ne fait pas l’unanimité. Des remises en question concernant le statut scientifique de la psychanalyse dont les plus notoires sont celles de K. Popper autour de ses propositions sur les critères de scientificité, propositions réfutées par des épistémologues des sciences physiques. L’absence d’unicité des modèles scientifiques rend caduque du point de vue épistémologique, le recours exclusif au modèle expérimental fondé sur le triptyque observation, hypothèses, vérification. La spécificité épistémologique tient à sa méthode qui articule théorie des processus inconscients et clinique du transfert, ce qui fait d’elle une épistémologie régionale. L’épistémologie de la psychanalyse se situe aux confins du naturel et du culturel, de l’individuel et de l’intersubjectif, de la science et de la fiction, de l’herméneutique et de la phénoménologie, de la clinique et de la recherche. Ses frontières multiples sont en fonction des époques et des choix théoriques plus ou moins ouvertes voire poreuses, plus ou moins fermées voire infranchissables.

Conclusion

Les enjeux épistémologiques de la psychanalyse sont le reflet de l’évolution contemporaine d’une épistémologie des sciences à une épistémologie de la recherche et donc de l’évaluation. La nature hypercomplexe de la psyché humaine et des faits psychiques rend inadéquate la transposition de modèles épistémiques appartenant à d’autres sciences. La position aux frontières de l’épistémologie psychanalytique ne peut se limiter à une forme d’originalité causaliste et théorique, elle prend d’abord et avant tout racine dans la spécificité de sa méthode elle-même aux frontières entre pratique et théorie. La part processuelle de la psychanalyse comme théorie mais aussi comme thérapeutique est essentielle et ouvre ainsi à un questionnement sur la transmission, de l’épistémologie de la psychanalyse dans le champ des recherches, dans les sciences dans leur globalité. Le pari d’une transmissibilité de l’épistémologie de la psychanalyse reste une gageure mais la penser comme dialogue, c’est-à-dire confrontation et ouverture avec d’autres disciplines, nous apparaît comme nécessaire dans une mise en tension entre compromis et travail de frontière.

Par un ensemble de réflexions sur l’épistémologie de la psychanalyse, le présent article veut favoriser un dialogue avec les représentants des sciences modernes. Il est évident que de nos jours les rationalités des sciences se sont multipliées, les méthodes d’observation et d’expérimentation ne se réfèrent plus à une réalité dite objective. La psychanalyse, elle aussi, ne représente plus une discipline à l’unité définie. Comme cadre de discussion, nous avons choisi de comparer la méthode analytique de Freud avec la science dite exacte. La psychanalyse est apparue tard dans l’histoire des sciences et a essayé de se trouver une place dans le monde des épistémologies de notre temps. Comme point de départ j’avance l’idée que le fondateur de la psychanalyse a trouvé les racines de sa méthode originale dans la technique antique grecque qui implique à la fois un art et un savoir. Elle se définit comme un savoir-faire. Une telle technique apparaît chez Freud dans le cadre de sa méthode analytique en tant que travail artisanal. Il la présente dans son premier écrit sur la technique avec pour outil le langage et sa qualité évocatrice. Même s’il ne se réfère pas de manière explicite à la grande tradition de la rhétorique qui remonte à Aristote, la psychanalyse de Freud est d’une certaine façon l’héritière de ce grand mouvement culturel de l’Antiquité. Alors que la science exacte est basée sur des évidences d’origine mathématique, initiées depuis quelques siècles par des chercheurs comme Galilée, Newton et Descartes, la psychanalyse s’est basée sur le langage en sa qualité technique. On peut là trouver la différence fondamentale entre les deux épistémologies. L’une s’est développée en suivant une rationalité stricte permettant le calcul mathématique, l’autre s’est orientée à partir d’indices et des recherches à la pensée conjecturale.

Objectif

Depuis les années 2000, en France, les politiques de « santé mentale » s’appuient sur des données probantes. Concernant les psychothérapies, l’expertise de l’Inserm, publiée en 2004 et concluant à l’absence de preuve d’efficacité pour la psychanalyse, reste une référence importante. L’objectif de cet article est d’en réinterroger la valeur scientifique, quinze ans après.

Méthode

Après avoir fait retour au contexte de rédaction du rapport et aux controverses ayant entouré sa publication, nous proposons une revue des études d’efficacité ayant depuis évalué la psychanalyse. Cette littérature récente, principalement internationale, reste assez méconnue en France.

Résultats

Le rapport d’expertise de l’Inserm, pour part recevable à sa parution, apparaît aujourd’hui relativement daté, tant au plan méthodologique que dans ses conclusions. Les plus récentes études d’efficacité démontrent en effet que les thérapies psychanalytiques et cognitivo-comportementales ne présentent pas de différences notables d’efficacité, pour la quasi-totalité des troubles connus.

Discussion

Ces résultats donnent lieu à débat. Une partie des scientifiques croit qu’ils sont l’effet d’un manque de rigueur dans les protocoles expérimentaux. D’autres soutiennent au contraire que la recherche des facteurs spécifiques de l’efficacité est une impasse, et promeuvent des études en conditions naturelles pour apprécier les facteurs contextuels cumulés de l’efficience thérapeutique.

Conclusions

Sans préjuger des orientations et résultats futurs de la recherche, il apparaît néanmoins que le rapport d’expertise de l’Inserm ne peut plus être aujourd’hui la référence dominante, en France, pour recommander les « bonnes pratiques » psychothérapiques. Au vu de la littérature scientifique aujourd’hui disponible, la psychanalyse est une offre de soin à préconiser parmi d’autres – position à laquelle souscrivent les systèmes de santé de nombreux pays.

Dans cet article, l’auteur propose une relecture, à destination du champ clinique, des « controverses poppériennes » concernant les critères de la scientificité. Y est ressaisi ce qui conduit Popper à réduire les sciences à leur branche expérimentale. Sont ensuite retracés les débats scientifiques qui, depuis 50 ans, ont largement affaibli puis invalidé la position poppérienne, bien qu’elle continue de valoir pour l’opinion commune. La pluralité des régimes de scientificité – relatifs aux objets expérimentaux, vivants, sociaux – étant aujourd’hui admise, rien ne s’oppose donc, sauf résistances liées à une imaginarisation de « La » science, à ce que les psychanalystes renouent avec leur tradition scientifique propre, au nom du réel dont ils sont théoriquement – non moins que thérapeutiquement – responsables.

Objectif

Cet article propose une revue de littérature concernant l’évaluation et l’efficacité des psychothérapies psychanalytiques et de la psychanalyse (PPP).

Méthode

Après avoir proposé une vue d’ensemble de l’évaluation des psychothérapies, nous reprenons les travaux portant sur l’évaluation empirique et quantitative des PPP avant de nous centrer sur leur évaluation qualitative et processuelle.

Résultats

Les résultats des études menées en ce domaine démontrent que les psychothérapies sont efficaces aussi bien sur le court terme que le long terme. Leur efficacité est le plus souvent indépendante de l’obédience théorique du clinicien. En revanche, les facteurs communs comme l’alliance thérapeutique ou les particularités du thérapeute sont des éléments prévalents de même que la durée et la fréquence des psychothérapies. Concernant plus précisément l’évaluation des PPP, celles-ci sont démontrées empiriquement comme étant efficaces pour la plupart des troubles psychiatriques. Plusieurs caractéristiques des PPP sont en outre corrélées de manière significative avec l’efficacité thérapeutique.

Discussion

L’évaluation qualitative et processuelle des PPP apparaît complémentaire à ce premier niveau d’évaluation empirique qui présente plusieurs limites (biais d’allégeance, indistinction des processus, pratiques de recherches questionnables, etc.) mises notamment en évidence par la crise de la reproductibilité. La méthodologie des Essais Contrôlés Randomisés propose une évaluation de surface à laquelle doivent être associées des approches fondées davantage sur la pratique clinique. L’approche du groupe de Boston, l’analyse des processus psychothérapiques par le Psychotherapy Q-Sort (PQS) ainsi que la modélisation du processus de symbolisation par l’École de Lyon sont trois paradigmes de recherche qualitatifs particulièrement riches de ce point de vue.

Conclusion

Les PPP sont efficaces pour la plupart des troubles psychiatriques sur le court terme, en fin de thérapie et plusieurs années après celle-ci. Elles engendrent des transformations durables sur le plan des symptômes et de la personnalité. Elles apparaissent souvent plus efficaces que la pharmacothérapie et conduisent à des économies substantielles quand elles sont mises en œuvre dans des services de soin auprès de patients souffrant de pathologies variées. 

Ce travail propose une réflexion concernant les liens entre psychanalyse, science et vérité dans le but de dégager certains principes de l’épistémologie psychanalytique, les modes de production de son savoir et la nature de ses modèles. Il s’agit ainsi de préciser les éléments relatifs aux conditions du savoir analytique et les logiques spécifiques de sa démarche. Dans cette perspective, une reprise historique des évolutions majeures de l’épistémologie psychanalytique est développée en trois temps. Le premier temps consiste en une lecture de L’Analyse finie et l’analyse infinie et de Constructions en analyse reprenant pas à pas le texte freudien. Certaines particularités de l’approche freudienne conduisant à une possible ambivalence de ses modèles sont relevées à cette occasion. Puis une reprise des théories de Lacan (dans un deuxième temps) et de Bion (dans un troisième temps) sont ensuite proposées afin de mettre en exergue l’évolution ultérieure des rapports entre théorie et vérité dans le champ analytique. Plusieurs concepts de Bion (fonction alpha, fait choisi, vertex et capacité négative) étayent plus longuement l’argumentation. Une synthèse propose enfin, à partir de ces différents éléments, de considérer la psychanalyse comme une science de la subjectivité de nature hybride qui évite aussi bien l’écueil du réductionnisme qu’une herméneutique entièrement relativiste, tout en tolérant un certain rapport agnostique au réel. L’épistémologie psychanalytique procède ainsi d’une spirale herméneutique dont l’émergence découle de la capacité à tolérer une tension dialectique entre réalisme clinique et interprétation heuristique.

Pour aller plus loin

  • Assoun, Paul-Laurent, « La “scientificité” de la psychanalyse », dans de Mijolla, (Alain) et de Mijolla Mellor, (Sophie), (dir.), Psychanalyse, (coll. « Fondamental »), Paris, Presses Universitaires de France, 1999, (3e édition corrigée), pp. 745-762.
  • Guillaumin, Jean, La psychanalyse, un nouveau modèle pour la science ?, Perspectives psychanalytiques, L’Esprit du Temps, 2003.
  • Leichsenring, Falk, Luyten, Patrick et al., « Psychodynamic therapy meets evidence-based medicine: a systematic review using updated criteria », The lancet. Psychiatry, 2/7 (2015) 648–660.
  • Micheli-Rechtman, Vannina, La psychanalyse face à ses détracteurs, Nouvelle préface 2010, coll. « Champs, Essais », Flammarion, Paris, 2010 (2007).
  • Perron, Roger, « La psychanalyse est-elle réfutable ? », in Roger Perron, Sylvain Missonnier (éd.), Freud, coll. « Cahier de L’Herne », Éditions de L’Herne, Paris, 2015, p. 193–199.
  • Vergote, Antoine, « Épistémologie de la psychanalyse comme science de l’homme », in A filosofia e as ciencias, IV Semana internacional de filosofia, Brasil, Curitiba, 1978, p. 28–36.
  • Visentini, Guénaël, Pourquoi la psychanalyse est une science. Freud épistémologue, PUF, Paris, 2015.

En anglais

Voir aussi

  • Sigmund Freud : « Les assertions de la psychanalyse reposent sur un nombre incalculable d’observations et d’expériences, et seul celui qui répète ces observations sur lui-même et sur d’autres est engagé sur la voie menant à un jugement personnel », préface de l’Abrégé de psychanalyse (1938)
  • Les critiques du livre de Michel Onfray sur Freud et la psychanalyse
  • Cet article d’Antoine Vergote sur l’épistémologie de la psychanalyse, dans lequel il écrit notamment :

L’écoute de la parole en libre association dans la situation analytique, constitue une technique d’observation originale et ses résultats ne sauraient pas être vérifiés ou falsifiés par d’autres procédés.

ce n’est ni aux autres psychologues, ni aux analystes du langage ordinaire, ni aux phénoménologues qu’il appartient d’examiner la validité scientifique de la psychanalyse. Pareille tâche revient à l’épistémologue qui, en se plaçant à l’intérieur de la démarche psychanalytique, examine le rapport entre la préconception hypothétique, la mise en œuvre de la technique qui s’en inspire, la collecte des observations, la construction des concepts théoriques interprétatifs, les nouvelles observations que ces dernières rendent possibles. Cet immense travail ne peut évidemment pas se faire en une heure de temps