
Rembrandt, Satan tentant le Christ (1635/1640)
En ce premier dimanche de Carême, voici une perle de Xavier Thévenot sur le texte d’Évangile du jour (Luc 4, 1-13) : dans « Conflits de conditions filiales. Les tentations de Jésus », il mobilise avec finesse les ressources de la psychanalyse pour montrer en quelques pages de réflexion théologique et spirituelle de lecture aisée en quoi Jésus échappe à la tentation de vivre sa relation filiale à Dieu selon un mode infantile qui ferait l’économie des médiations les plus structurantes (du temps, du travail, de la parole), et pousserait à la toute-puissance.
En voici deux extraits :
p. 10, au sujet de la première tentation (d’obtenir le pain immédiatement, par miracle) :
[…] cette première tentation porte sur l’usage d’une zone du corps qui renvoie aux expériences et identifications les plus archaïques, à savoir la zone orale. On retrouve là un thème biblique présent dès le troisième chapitre de la Genèse, qui met en scène la première tentation d’Adam : « Si vous mangez du fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, vos yeux s’ouvriront. » Les tentations les plus fortes sont celles qui s’enracinent dans l’archaïque de la personnalité et qui réveillent le fantasme de la toute-puissance. À l’inverse, les guérisons les plus solides sont celles qui réinstaurent un bon rapport à l’oralité archaïque et qui promeuvent la reconnaissance de la finitude sous l’égide d’une alliance. Telle est la guérison à laquelle conduit l’eucharistie qui, on le sait, est à la fois un repas, une célébration de l’alliance, et un mémorial de la kénose du Christ en qui s’est déployée et continue à se déployer la puissance de la Résurrection.
p. 12 : dans la deuxième tentation (de posséder la gloire et la puissance)
Le moi idéal avec ses fantasmes d’être au-dessus du temps (« en un instant »), et d’ avoir la toute-puissance (v. 6) est spécialement sollicité par le diable. De plus, cela se passe dans le mensonge ; ce qui permet au tentateur de donner à croire qu’il a reçu — il ne dit pas de qui — puissance et gloire ; et, plus encore, qu’il est apte à les transmettre à qui il veut ! Qui ne serait pas ébranlé devant une telle sollicitation ? D’autant plus qu’elle touche une deuxième zone du corps, qui intervient également de façon très précoce dans la structuration du sujet : les yeux. Le diable, comme le serpent en Gn 3, sollicite le regard, et le regard sur soi-même paré de gloire et de puissance ! Narcisse est là !
Sur Gn 3, voir aussi, de Xavier Thévenot, cet article plus technique, mais tout aussi remarquable : « Emmaüs, une nouvelle Genèse ? Une lecture psychanalytique de Genèse 2-3 et Luc 24, 13-35 », Mélanges de Science Religieuse, 37/1 (1980) 3-18.
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