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L’historien Jean Delumeau a consacré tout un développement de son célèbre ouvrage Le péché et la peur. La culpabilisation en Occident, à la « Névrose collective de culpabilité » qui a marqué le christianisme occidental. Il s’y réfère abondamment au grand ouvrage d’Antoine Vergote, Dette et désir (voir ci-dessous)
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Lire « Névrose collective de culpabilité »
(Pour une appréciation critique de l’œuvre de Jean Delumeau,
voir cet article de Guillaume Cuchet »)
Dans ces pages saisissantes, extraites du chapitre IX de Le péché et la peur : La culpabilisation en Occident, 13e-18e siècles, Delumeau se réfère principalement au chef-d’œuvre d’Antoine Vergote qu’est Dette et désir, Deux axes chrétiens et la dérive pathologique, Seuil, 1978, déjà présenté et téléchargeable sur ce site. Voir les pages de ce livre auxquelles Delumeau se réfère.
Delumeau lui-même écrit au début de ce passage (p. 331) : « Cette fois encore se vérifie la convergence entre historiographie et psychiatrie sur laquelle j’avais déjà insisté dans le premier chapitre de La peur en Occident. »
Les premières lignes du texte (p. 331) :
Un Dieu terrible plus juge que père en dépit de la miséricorde dont on le crédite par raccroc ; une justice divine assimilée à une vengeance ; la conviction que, malgré la Rédemption, le nombre des élus restera petit, l’humanité entière ayant mérité l’enfer par le péché originel ; la certitude que chaque péché blesse et injurie Dieu ; le rejet de toute distraction et de toute concession à la nature parce qu’elles éloignent du salut : tous ces éléments d’une « théologie primitive du sang », pour reprendre l’expression de Bultmann, renvoient à une « névrose chrétienne » que les recherches de la psychiatrie contemporaine ne permettent plus de mettre en doute.
Quelques extraits :
Quand on relit les innombrables affirmations de jadis sur le petit nombre des élus et la dureté des « vengeances » divines, on est frappé par la coexistence dans les mêmes esprits de deux images de Dieu qui se contredisent, l’une soulignant sa justice et l’autre sa miséricorde, de sorte que deux sentiments paraissent se partager la conscience : une haine refoulée mais présente du Persécuteur et un amour hautement affirmé (p. 333)
Logiquement le Dieu créancier et jaloux devient sanguinaire lorsque les péchés de la terre dépassent la mesure et que les dettes s’accroissent envers lui. Alors ses « colères » sont terribles et le poussent à la « vengeance ». Que de textes en ce sens dans la littérature chrétienne sur les châtiments dès ici-bas des collectivités pécheresses et sur les supplices promis aux damnés ! Et combien d’affirmations catégoriques sur la mort du Fils, « satisfaction » substitutive pour les péchés ! (p. 335)
Peur panique de la souillure et conscience d’une dette insolvable, image d’un Dieu dévoreur, à la fois haï et aimé, qui ne concède aucun désir propre à ses sujets et se satisfait de leur martyre, autant de facteurs qui poussent à la fois au perfectionnisme et au narcissisme. Car le sentiment de culpabilité associe deux craintes : celle de perdre l’amour de l’autre et celle d’être indigne de soi. Quand un tel sentiment s’exaspère, le prix à payer pour l’amour de l’autre ne paraît jamais assez élevé. L’impossible identification au père idéalisé conduit à des automutilations qui désolidarisent le patient de sa destinée humaine. Il est pris du vertige et de la hantise de dépasser les limites de l’humain. (p. 335)
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