Dans la deuxième partie de J.-B. LECUIT, Le désir de Dieu pour l’homme, Cerf, 2017 est proposée une approche historique et théologique de l’attribution à Dieu d’un désir pour l’être humain.
Voici une sélection de citations comportant une telle attribution, complémentaires de celles qui sont présentées dans l’ouvrage.
Quelques attributions à Dieu d’un désir pour l’homme
(Ordre chronologique inverse)
Frère Emmanuel, de Taizé, Un amour méconnu. Au-delà des représentations spontanées de Dieu, Bayard, 2008 :
p. 96 : « Or quelles caractéristiques correspondraient le mieux à un amour transcendant, sinon la capacité et le désir de transcender tous les obstacles susceptibles de le retenir éloigné de ceux qu’il aime? Quoi de plus étranger à la logique de l’amour que l’attitude consistant à maintenir une distance hautaine à l’égard de l’être aimé ? » ; la spiritualité chrétienne « inverse au contraire cette tendance en s’appuyant fondamentalement sur l’amour d’un Dieu désireux de rejoindre chacun jusque dans sa condition humaine, là où il en est, pour l’inviter à entrer dès maintenant dans une réciprocité d’amour avec /97/ lui : mystère incompréhensible et déroutant pour peu que soit encore active la représentation d’une transcendance divine inconsciemment associée à une grandeur hautaine et distante, mais mystère non dénué de sens et bouleversant pour peu qu’il soit mis en perspective avec la logique interne de l’amour qui, lui, ne saurait en effet souhaiter autre chose que rejoindre l’être aimé. »
p. 130s : « S’en dégagent quatre fondements essentiels à une possible réciprocité divino-humaine dans l’amour, quatre piliers sur lesquels la mystique /131/ chrétienne invite à faire reposer l’édifice d’une vie intérieure : la vive conscience que la véritable grandeur d’un Dieu d’amour se trouve dans la qualité de son amour toujours offert, et non dans une attitude imposante, voire écrasante ; puis la vive conscience qu’il ne saurait s’agir non plus d’une transcendance divine désireuse de se maintenir à distance dans une froide suffisance, mais au contraire d’une transcendance divine désireuse de se tenir proche de chacun à tout moment – qu’il ressente ou non sa présence – afin de l’inviter à entrer dans une réciprocité d’amour vécue pour elle-même ; ensuite la vive conscience qu’un Dieu d’amour ne peut que désirer être intensément aimé, et que cet appel bouleversant, adressé à chacun, demeure une invitation stimulante à aimer Dieu de tout son être, en intégrant toujours davantage sa propre humanité, sa propre sensibilité, sa propre affectivité, sa propre soif d’être aimé et d’aimer au sein d’une vie intérieure; enfin la vive conscience qu’un Dieu-Créateur, déterminé à créer un être capable de vivre un amour avec lui, a nécessairement veillé à ce que chacun dispose d’un potentiel d’amour, d’une manière d’attendre et d’offrir un amour qui corresponde suffisamment à la sienne pour que son dessein soit pleinement réalisable. »
Harry G. Frankfurt, The reasons of love, Princeton, N.J., Princeton University Press, 2004 (trad. J.-B. Lecuit) :
p. 62 : « Cet amour [de Dieu], qui est compris comme totalement sans limite ou condition, pousse Dieu à désirer (moves God to desire) un plenum d’existence dans lequel tout ce qui est possiblement objet d’amour est inclus /63/. Dieu veut aimer autant qu’il est possible d’aimer. Naturellement, il n’a aucune peur d’aimer imprudemment ou trop bien. Ce que Dieu désire (desires) créer et aimer, par conséquent, est simplement l’être (Being) – quelle qu’en soit la sorte, et autant qu’il peut y en avoir »
Santino Cavaciuti, « Il desiderio quale fondamentale dimensione dell’essere », dans C. Ciancio, Metafisica del desiderio, Milan, Vita et Pensiero, 2003, p. 95-115 (trad. J.-B. Lecuit) :
p. 113 : « Puisque le désir “mûr” s’identifie à l’amour, il est évident qu’il fait partie aussi de l’être de Dieu, si Dieu est conçu comme Amour. Je dis et je répète qu’il s’agit ici du désir supérieur, celui qui s’identifie à l’amour, bien différent, donc, du désir inférieur […] qui souvent, mais pas toujours, est lié au besoin, et qui, comme tel, est expression de la condition créaturale, condition de “finitude”. Le désir qu’il faut reconnaître en Dieu, est le désir, – dis-je – qui s’identifie à l’amour, et qui est à la base, en un certain sens, de la “création” du monde et, plus encore […] est à la base de la vie même de Dieu ; c’est le désir de “participer” [à] soi-même, de donner existence. [cite Lc 22, 15 : epithumia epithumèsa] »
p. 114 : « Dans les êtres finis, par contre, ou pour mieux dire, dans l’homme, le désir, et même le désir-amour, n’égale jamais entièrement – on peut le penser – la “volonté” – comme il n’égale jamais la “connaissance” –, étant donné que dans les créatures il se présente toujours comme distinct et multiplie ce qui en Dieu est conçu comme “un” »
p. 115 : « L’âme profonde du désir – comme on l’a vu – n’est pas, proprement, d’acquérir quelque chose de déjà “donné”, et ce n’est pas non plus la “position dans l’être” de quelque chose de totalement “autre”, mais c’est plutôt la réalisation de la réciprocité, dans laquelle le “nouveau” est comme une “réponse” au “désirant” […]. Ici le Fils est la “position dans l’être” éternelle du “nouveau” de la part du Père, et, à son tour, il est la “réponse” vivante, personnelle, au Père. Réciprocité, enfin, de laquelle l’Esprit a [reçoit] la vie : cet Esprit qui est ensuite l’“animateur” du monde, où l’homme, et avec l’homme l’univers entier, est appelé, dans le même Esprit, à “répondre” au “Désir-Amour” créatif de Dieu – ou qui est Dieu –, c’est-à-dire est appelé à “se mouvoir” […] en parfait harmonie et en expression de “nouveauté” éternelle et essentielle, avec le même Désir-Amour suprême, […] »
Michel Corbin, « Un désir qui n’a pas de limite. Libre essai sur un passage de La vie de Moïse selon saint Grégoire de Nysse », Laval Théologique et Philosophique, 55/3 (1999) 365-391 :
p. 374 : « Quiconque prononce la prière dominicale […] parce qu’il espère sanctifier davantage le Nom du Père, et que ce “davantage” ne vient pas de lui mais du Père, dont l’effusion est en même temps un débordement gratuit, sans aucune arrière-pensée, et un désir de notre réponse. »
p. 375 : « la voix divine, dans une sorte de second temps, le ramène toujours à ce qu’il peut recevoir, non en raison d’une jalousie, mais de l’Amour même qui est flamme vivante, impossible à contenir tant elle désire se partager et croître en ce partage »
Adolphe Gesché, Dieu pour penser, II, L’homme, Paris, Éd. du Cerf, 1993 :
p. 111 : « La question au fond est celle-ci : croyons-nous assez en nous-mêmes, pour croire en nous comme Dieu croit en nous ? Pour croire qu’il nous désire pour lui-même »
p. 112 : « Dieu nous a créés par désir d’amour, et nul ne peut lui arracher cette créature fragile qui le fait trembler d’amour […]. Il en est ici comme si Dieu nous suppliait de l’aimer pour le faire “ek-sister”. Il attend là quelque chose de nous, désir d’être aimé parce que, – grandeurs ou faiblesses en nous, peu importe –, nous sommes désirables ».
p. 136 : « En revanche, si Dieu “se suffit”, me voici donc créé pour moi-même. Bref, mais c’est capital, je ne réponds pas à un besoin de Dieu, sans quoi je serais dans l’aliénation, on l’a assez souligné. Je suis souhaité par Dieu pour moi-même »
p. 137 : « Quand Dieu nous aime, il nous désire, ce qui implique un amour de soir, un goût de bonheur »
p. 148 : « Dieu est heureux et “cherche” même le bonheur, si l’on peut dire, en créant le monde parce qu’Il en a désir et pour se donner un partenaire avec qui partager ce bonheur de l’être et de la vie. »
Thadée Matura, Une absence ardente, Paris, Médiaspaul, 1988 (cité dans Hubert Debbasch, L’homme de désir, icône de Dieu, Paris, Beauchesne, 2001) :
p. 34 : « Le Dieu dont elle [la Révélation chrétienne] esquisse le visage est non seulement celui vers qui dérivent, en vagues étales, le désir et l’appel de l’océan de l’être ; c’est un Dieu lui-même désirant, un Dieu à la quête de l’homme. […] Dieu […] est lui-même aimanté par la recherche de sa créature qui est aussi son partenaire. On comprend dès lors pourquoi le désir de Dieu – aux deux sens possibles du mot –, devrait être le souci fondamental, la préoccupation centrale de l’homme »
Michel Meslin, L’expérience humaine du divin. Fondements d’une anthropologie religieuse, (coll. « Cogitatio Fidei », 150), Paris, Éditions du Cerf, 1988 :
p. 386 : « Le Dieu qui est ainsi désiré tire l’homme hors de lui-même pour lui faire entendre quel est le désir de Dieu. […] l’expérience de Dieu est d’abord reconnaissance et acceptation de l’Autre ; elle est prise de conscience du désir de l’Autre dans une confrontation douloureuse avec le sien propre […]. Mais cette relation ainsi établie entre l’homme et Dieu a pour conséquence la révélation des désirs de Dieu et la prise de conscience de la discordance qui s’établit entre eux et les désirs de l’homme, auxquels son désir même de Dieu le conduit à renoncer. C’est donc à partir de ce désir de l’Autre que le renoncement à soi peut devenir le moteur de la conversion des désirs humains en désir de Dieu. C’est par l’écoute d’une Parole, qui est écoute de l’Autre, que Dieu peut être perçu dans l’altérité d’un désir et dans l’ouverture d’un dialogue. Il faut donc sortir de soi, se dépouiller de son désir, afin de laisser Dieu désirer en l’homme et l’homme ne désirer que Dieu. […] Or cette articulation du désir humain sur le désir de Dieu implique, en un sens, chez l’homme un état de non-désir ; ou plutôt une identification de son désir au désir de Dieu qu’il découvre […] »
Jean-Miguel Garrigues, Dieu sans idée du mal, Limoges, Critérion, 1982 :
p. 39 : « Dieu a pour nous l’ardent désir du bien ultime qu’il est lui-même »
François Varillon, Beauté du monde et souffrance des hommes, Entretiens (de 1978) avec Charles Ehlinger, Bayard, 2020 (1ère éd. 1980) :
p. 313 : « Aussi l’idée de surabondance ou d’excès me parait absolument essentielle, car dans le débordement il n’y a pas de déficience.
Nous rejoignons ici la grande distinction entre le désir et le besoin mise au jour par la psychanalyse. Vous vous souvenez du film Dieu a besoin des hommes. C’est un mauvais titre. Dieu n’a besoin de rien, il est autosuffisant. Mais il est autodébordant. Il y a donc en lui pleine suffisance, donc pas de manque, et cependant désir et mouvement de désir. Qu’est-ce qui nous rend si difficile cette approche : notre culture, l’éducation reçue, une conception trop étroite de la raison ? Je crois qu’il faut manifester quelque audace. »
Henri Lacordaire, Sermon prononcé à l’église des Carmes par le P. Lacordaire, La Tribune Sacrée, Paris, 1849-50 :
p. 207 : « … le chrétien apaise au-dedans de lui l’idéal du désir en ne désirant que ce que Dieu veut, permet. Il est satisfait, car il ne peut rien désirer après ce que Dieu désire. Demandez à un saint ce qu’il désire, il vous dira : Je désire ce que Dieu veut, ce que Dieu permet […] »
[Anonyme], L’Abandon à la providence divine, Autrefois attribué à Jean-Pierre de Caussade, Nouvelle éd. établie et présentée par Dominique Salin, (coll. « Christus Textes », 90), Paris, Desclée de Brouwer, 2005 :
p. 106 : « Dieu veut être en nous pauvrement, sans les accompagnements de sainteté qui rendent les âmes admirables. C’est que Dieu seul veut être seul l’objet de notre cœur et désire que lui seul nous plaise »
p. 155 : « Ce que Dieu fait à chaque moment est une parole qui signifie une chose. Ainsi dans toutes [celles] où il intime sa volonté, sont autant de noms et autant de paroles où il nous montre son désir »
Juan Marín, Theologiae speculativae et moralis, Tomus Primus, Venise, 1720, « Tractatus III. De Praedestinatione Sanctorum » :
p. 191 : « Dico 2. Collatio auxilii inefficacis oritur ex desiderio tali nostrae salutis, ut vere & proprie dici possit ardens desiderium & sitis nostrae salutis. Prob. Non minus desiderat Deus nostram salutem, quam Christus eam desideravit. Sed Christus ardenter desiderat omnium salutem. Prob. min. Ex Bernardo de Passione, cap. 13. Desiderium ardentissimum salutis nostrae ipsum, credimus, sitivisse. D. Thom. In 19. Joan. Lect. 3. Per hoc, quod dicitur, sitio, ostenditur ejus ardens desiderium de salute generis humani… vehemens autem desiderium, consuevimus exprimere per sitim. Confirm. Qui desiderat hominum salutem affectu simili, ac habent homines, qui dicuntur aliquid ardenter desiderare, licet non absolute efficaciter, vere, & proprie dicitur, ardenter desiderare salutem. Sed Deus desiderat hominum salutem affectu simili, ac homines, qui dicuntur aliquid ardenter desiderare, licet non absolute efficaciter : ergo. Prob. min. » Voir l’extrait sur Googlebooks »
Jean de Jésus-Marie, Dominicale, Vienne, 1729 :
p. 63 : « Deus habet voluntatem a cunctis malis nos liberandi, & liberaliter omnia sua bona nobis communicandi. Magnifice idem Apostolus : Omnes homines vult salvos fieri [1 Tm 2, 4]. Omnium hominum salutem Deus desiderat, & ut aeterna felicitate in coelo fruantur. […] Quia cum bonum sit diffusivum sui, & mali, contrarii explusivum, sic Deus infinita sua bonitate movetur, ut benévola voluntate sit nobis addictus. Nam Deus infinite desiderat in nos sua bona effundere, & longius ab animabus nostris repellere omne genus malorum » Voir l’extrait sur Googlebooks »
[Auteur inconnu], De divinis moribus, opuscule 61 de l’édition romaine des œuvres de saint Thomas d’Aquin (publiée en 1570 sur l’ordre de Pie V) attribué à tort à Saint Thomas d’Aquin (Editions Louis Vivès, 1857), Chapitre III :
« Il est dans les mœurs de Dieu une autre perfection, c’est que, si graves que soient les outrages et les mépris qu’il reçoit de sa créature, cependant il n’éprouve jamais de haine pour la nature elle-même; au contraire il l’aime véritablement et désire son bien avec ferveur, quoiqu’il déteste le mal qui est en elle (Alius modus sive perfectio est in Deo, quantumcumque a creatura sua offenditur et contemnitur, nunquam tamen ipsam naturam odit, sed vere eam diligit, et bonum ejus ferventer Deus desiderat, licet malum ejus detestetur) » Voir l’extrait sur Googlebooks »
Julienne de Norwich, Le Livre des révélations, coll. Sagesses chrétiennes, Paris, Éditions du Cerf, 2007, chap. 75, p. 242-243 :
Car Dieu a soif de posséder en lui toute l’humanité : c’est cette soif qui l’a fait attirer à lui tous les saints qui partagent maintenant sa béatitude. Rassemblant ses membres vivants, il continue d’attirer et d’absorber, mais il a toujours soif et ardent désir.
Je vis trois sortes de désir en Dieu, et tous pour une seule fin. Il en est de même pour nous, par la même vertu, et pour la même fin.
Premièrement, Dieu désire ardemment nous apprendre à le connaître et à l’aimer toujours plus, car cela nous est expédient et profitable. Deuxièmement, il aspire à nous voir partager sa béatitude, comme le font les âmes entrant au ciel qu’elles sont libérées de leurs peines. Troisièmement, il veut nous emplir de sa félicité, ce qui aura lieu au dernier jour dans une plénitude qui ne finira jamais.
Hildegarde de Bingen (1098-1179), Epistularium Hildegardis Bingensis, Corpus Christianorum, Continuatio Mediaevalis 91B, Turnhout, Brepols, 2001, ep. 320 :
p. 80 : « Nunc adiuua illum et per se ipsum et per alios. Deus desiderat te, et ut te trahat ad se. Vnde curre, et Deus adiuuabit te ».