Inconscient et vie spirituelle, selon Ruth Burrows

Selon la foi chrétienne, en quoi consiste le salut ? Correspond-il à notre désir spontané ? Peut-on l’espérer pour tous ? En quoi est-il actuel ? Dans une interview d’une vingtaine de minutes, l’auteur de ce site répond à ces questions théologiques. Leur dimension psychologique est implicitement traitée lorsqu’il est question du rapport entre désir et salut.

Écouter ou lire l’interview (complétée par des références bibliographiques), et accéder à des articles sur le salut

Interview de Jean-Baptiste Lecuit
par Isabelle de La Garanderie,
doctorante en théologie aux Facultés Loyola Paris

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Questions abordées dans l’interview

  • Le salut comme libération du mal et réalisation de notre désir illimité
  • Le salut comme divinisation
  • Le salut se réalise d’une façon déconcertante, par conformation à Jésus-Christ, crucifié et ressuscité
  • L’espérance du salut pour tous, entre « infernalisme » fort et universalisme
  • Le risque de penser le salut à partir de nous-mêmes et de nos attentes, plutôt qu’à partir du désir de Dieu pour nous, manifesté en Jésus-Christ
  • L’actualité « inactuelle » du salut
  • Différences entres les approches protestantes, orthodoxes et catholiques du salut

Transcription de l’interview, complétée par des références bibliographiques

Isabelle de la Garanderie : Tout d’abord sur la question du salut, c’est vrai qu’on a parfois l’impression que le salut est quelque chose d’un petit peu éthéré, en langage courant, d’un futur sur lequel on ne sait pas exactement de quoi il s’agit. Alors De quoi s’agit-il quand on parle de salut ?

Jean-Baptiste Lecuit : Il est vrai que le mot « salut » fait peut-être plus penser aux salutations qu’à quelque chose qui rejoint l’expérience quotidienne. En revanche, peut-être que le verbe « sauver » nous parle un petit peu plus.

Nous avons tous l’expérience de quelqu’un qui, dans notre entourage, estime avoir été sauvé, par exemple par la médecine ; ou, quand nous entendons les choses terribles qui se passent dans le monde, nous comprenons que des personnes aient besoin d’être sauvées dans leur détresse. On pourrait, en creusant un petit peu les choses, remarquer que finalement, en tant qu’être humain, nous sommes confrontés à deux réalités universelles. La première, c’est l’affrontement au mal ; donc le salut a à voir avec l’espoir d’une libération de ce mal. Et puis une autre expérience aussi, qui est peut-être moins évidente : c’est celle du caractère illimité de nos attentes, de notre désir. [Voir à ce sujet les deux premiers chapitres de J.-B. Lecuit, Le désir de Dieu pour l’homme]

D’ailleurs le mot « illimité » est un petit peu à la mode dans la publicité ; ce n’est peut-être pas pour rien. Donc, cela nous met sur la voie de considérer deux aspects de l’existence humaine : un désir profond d’être libéré du mal (cela serait un aspect du salut, finalement, être libéré du mal, éventuellement même de la mort), et puis un autre aspect qui est celui de pouvoir voir se réaliser un désir illimité qui est en nous ; un désir illimité de bonheur, de joie, de connaissance, de plénitude. En fait, on se rend compte que toutes les religions, et même aussi certaines philosophies, peut-être toutes, d’une certaine façon, proposent des voies pour répondre à ces attentes qui sont en nous. Et la religion chrétienne, ou la foi chrétienne, plus précisément encore, le fait d’une façon à la fois assez semblable à ce qu’on peut trouver dans d’autres religions, et en même temps très différente. Semblable au sens où effectivement elle propose une libération du mal, et aussi une forme de réalisation de notre attente illimitée, de notre désir illimité ; avec un mot clé qui est celui de « divinisation », qui peut paraître encore plus éthéré que celui de salut, mais qui en fait correspond à quelque chose de très concret. On va le voir, je l’espère.

Mais d’ailleurs, désir de divinisation qu’on trouve aussi, par exemple, chez certains philosophes grecs ou dans une pensée qui n’est pas forcément chrétienne. Mais je disais que la foi chrétienne nous propose une réalisation de ces attentes de salut, d’une façon déconcertante, parce que même si Jésus ce que Jésus propose est une libération du mal (on le voit quand il s’adresse préférentiellement aux pauvres, par exemple), en même temps, ce qui nous est offert dans le mystère du Christ, c’est une participation à la relation qu’il a avec son Père, à la vie qu’on appelle trinitaire, c’est à dire cette relation infinie d’amour entre le Père et le Fils, unis par un même Esprit. Certains mystiques, comme par exemple saint Jean de la Croix, vont jusqu’à parler du fait qu’on est appelé à respirer l’Esprit Saint, à être transformé en Dieu. Voilà, être divinisé ! Mais cela se fait par une voie qui est déconcertante. C’est que cette divinisation, qui peut paraitre justement un petit peu au-delà de de tout (et elle l’est !) en fait, elle se réalise dans ce qu’on peut appeler une ressemblance et même une conformation au Christ. Donc, le divin ou la divinisation, dans notre existence humaine, c’est ressembler à Jésus Christ. C’est être comme lui. C’est lui ressembler de plus en plus dans le don qu’il fait de lui-même, dans l’accueil d’abord de l’amour de son Père et dans le don qu’il fait de lui-même dans son attention aux plus humbles, aux plus pauvres. C’est peut-être cela qui est le plus déconcertant. C’est que pour nous, quand le divin se manifeste, on ne s’attend pas à ce que cela donne… Jésus. Alors c’est pour cela que je disais que cela répond à la fois à nos attentes, à la fois de libération du mal et de divinisation et de réalisation de notre désir infini, mais en même temps d’une manière totalement déconcertante. La preuve, en quelque sorte, c’est justement que Jésus n’a pas été accepté ; cela été refusé. Peut-être qu’il continue à l’être même par ceux qui se disent ses fidèles…

Oui, donc un salut déconcertant plutôt qu’un salut éthéré. Dans les sous-titres de votre cours, il y a ce ces termes de grâce et de péché, un peu en couple. On entend aussi ce vieil adage « hors de l’Église, point de salut » parfois. Alors on a l’impression aussi que le salut, aussi déconcertant soit-il, ressemble à une forme de sanction. Alors, tous sauvés ou pas ?

Alors cette question, aussi étrange que cela peut paraître, a été abordée de façons très différentes dans l’histoire, en tout cas du christianisme en Occident. Aujourd’hui, on a une sensibilité, je pense assez répandue, qui va dans le sens de l’espoir, de la quasi-certitude d’un salut pour le plus grand nombre des êtres humains, voire pour tous. D’ailleurs, dans la première épître à Timothée, on entend cette phrase très forte : Dieu « veut que tous les hommes soient sauvés » (1Tm 2,4). Dieu veut que tous les hommes soient sauvés, mais en fait, quand on connaît un petit peu l’histoire de la tradition, on se rend compte qu’il n’en a pas toujours été ainsi. Jusqu’au XIXe siècle, en gros, les théologiens les plus influents, comme saint Augustin ou même saint Thomas d’Aquin, qui était un petit peu moins « rigide » sur ce point qu’Augustin, estimaient que la majorité de l’humanité, en tout cas une grande partie, terminerait hors du salut. Pas forcément parce qu’ils étaient hors de l’Église (il y avait un petit espoir de salut pour certains païens par exemple), mais tout simplement parce que Dieu n’aurait pas décidé de les arracher à la damnation à laquelle ils étaient condamnés depuis la faute d’Adam. Il faut savoir que c’est seulement au xixe siècle qu’a triomphé, selon un article que l’historien Guillaume Cuchet a consacré à cette question, l’idée qu’il y aurait un grand nombre d’élus [« Une révolution théologique oubliée. Le triomphe de la thèse du grand nombre des élus dans le discours catholique du XIXe siècle », Revue d’histoire du XIXe siècle 41 (2010) 131-148. Télécharger le pdf]

Et encore, au début, on pensait que c’est seulement une majorité de catholiques qui finalement seraient sauvés. Aujourd’hui, il y a une tension dans la réflexion chrétienne, si je la prends non seulement à l’intérieur de l’Église catholique, mais aussi chez tous les chrétiens, entre, disons, les positions les plus traditionnelles qu’on pourrait qualifier, excusez le mot, d’« infernalistes », c’est à dire l’idée que oui, il y a un enfer dans lequel il y aura des damnés. Donc il y a un infernalisme fort, certains théologiens estimant qu’il n’est peut-être pas contraire à la foi, mais en tout cas très imprudent de penser qu’il n’y aura personne en enfer.

Il y a des infernalistes un petit peu moins forts qui pensent qu’il y a un risque qu’il y ait des êtres humains définitivement perdus (seulement un risque, ce n’est pas une certitude qu’il y en aura) et d’autres qui sont des infernalistes encore plus faibles (par exemple, Hans Urs von Balthasar en fait partie) qui disent finalement (il dit cela à la fin de de sa grande œuvre, dans l’épilogue de Théologique), en fait, nous ne savons pas si c’est possible pour une liberté finie de refuser définitivement, jusqu’à se damner, le salut offert par Dieu. On peut peut-être même aller, tout en restant catholique, jusqu’à dire qu’il est vraiment improbable, voire très improbable que cela soit possible [voir la quatrième partie de « La vie éternelle : corporelle, dynamique et universelle ? »]. La tradition chrétienne la plus orthodoxe, enfin la plus affirmée, interdit d’aller au-delà et de dire qu’il est certain que tous seront sauvés. Cela dit, actuellement, il y a des théologiens, dans le monde orthodoxe notamment (l’orthodoxie le permet sans doute plus facilement), qui affirment que non seulement il est certain que tous seront sauvés, mais qu’il est monstrueux de penser que Dieu aurait pu créer le monde, ou plus exactement, conçu ou pensé un bonheur pour l’être humain, si ne serait-ce qu’un seul vit des tourments éternels [En particulier David B. Hart, dont la pensée à ce sujet est présentée et discutée dans la quatrième partie de « La vie éternelle : corporelle, dynamique et universelle ? »]. Donc, il y a des débats à ce sujet. Disons que (en conclusion), nous pouvons dire que pour un chrétien catholique, il est tout à fait possible d’espérer le salut de tous, voire d’estimer que c’est probable. Et en tout cas ce que je voudrais ajouter aussi, c’est répondre à une objection qui est parfois faite. C’est l’idée que si tous sont sauvés (on reprend parfois la chanson de Polnareff, « nous irons tous au paradis ») alors à ce moment-là, à quoi bon se fatiguer ? Et à cela je réponds : mais, dire cela c’est aussi absurde que de dire « puisque tous seront sauvés, à quoi cela sert d’envoyer les enfants à l’école ou d’aller chez le médecin puisque toute façon on sera tous sauvés ? » Comme si on ne voyait pas qu’en fait le salut, ce n’est pas simplement pour après la mort, mais cela commence maintenant. Le salut, c’est une libération du mal qui est en nous, c’est la participation à l’amour infini de Dieu, à sa joie, et cela, si on saisit un minimum ce dont il s’agit, c’est pour tout de suite. D’autre part, si même cela ne nous convainquait pas, il ne faut pas oublier une chose, c’est que quelqu’un qui, au moment de sa mort, serait dans un état de méchanceté, de vice, de rupture profonde avec Dieu et avec les autres, même dans la perspective d’un salut universel, on ne pourrait pas imaginer que d’emblée, juste au moment de sa mort, il aille au Paradis. Donc il devrait traverser toute l’épreuve de purification à laquelle il n’a pas consenti ou à laquelle il n’a pas été ouvert, pendant sa vie terrestre, pour le dire avec un mot simple.

Donc rien d’une sanction finalement, mais vraiment toujours le voir en termes de libération et qui nous concerne dès aujourd’hui. Alors vous avez déjà un petit peu mentionné que ce thème du salut a été traité tout au long des siècles. On a entendu sur ce point précis, mais est ce qu’il y a encore aujourd’hui une actualité de cette thématique du salut ? Pourquoi faire un cours finalement là-dessus, encore aujourd’hui ?

Alors je répondrai d’une manière qui pourrait peut-être déconcerter dans un premier temps. C’est que se demander s’il y a une actualité du salut, n’est-ce pas courir le risque d’une certaine façon de penser le salut à partir de nous-mêmes ? Voilà, nous avons notre actualité, nous avons notre attente, nos agendas, nos préoccupations et nous demandons finalement si Dieu a quelque chose à nous dire qui répond à nos attentes. Alors je suis un petit peu méchamment ironique, inutilement ironique, en disant cela parce qu’évidemment, pour quelqu’un qui est dans la détresse, on ne peut pas poser les questions dans des termes aussi facétieux, voire ironiques, mais malgré tout, il y a se laisser interroger, parce que de toute façon, quoi qu’il en soit, le salut tel qu’il nous est présenté par la foi chrétienne est déconcertant. Pensons par exemple aux béatitudes, voilà, Jésus ne dit pas « heureux les pauvres, parce que je leur apporte la richesse », il dit « heureux les pauvres, le Royaume des cieux est à eux », donc il leur parle d’un salut qui est là présent maintenant au cœur de leur pauvreté ; de même : « heureux les persécutés, le Royaume des cieux est à eux ».

Donc en fait, il y a ce risque de penser le salut d’abord à partir de nos attentes, alors qu’il s’agit, et c’est tout le malentendu qui tourne autour de Jésus, de le penser d’abord à partir des attentes de Dieu. Dieu a des attentes, Dieu a un désir, Dieu a quelque chose à proposer, et c’est nous qui ne répondons pas [Voir à ce sujet J.-B. Lecuit, Le désir de Dieu pour l’homme]. Passé ce moment un petit peu volontairement provoquant, mais je pense qu’il y a quelque chose à entendre ici, pour nous tous : accueillir le salut, c’est accueillir la révélation d’une ignorance aussi, au sujet de ce que le salut pourrait bien être. Je pense notamment à l’Épître aux Éphésiens, à un passage que j’aime beaucoup, dans le chapitre 3, où, après une évocation de l’appel à vivre du mystère de l’amour du Christ qui est en nous, la connaissance de « l’amour du Christ qui surpasse toute connaissance », il y a un cri de louange : « à celui » (Dieu), « dont la puissance en nous est capable de bien au-delà, infiniment au-delà de ce que nous pouvons demander et même concevoir… ! ». C’est cela que je voulais souligner. D’autre part, à propos de l’actualité du salut, je voudrais signaler, quand même, qu’il est évident que nous expérimentons tous, soit au plan personnel, soit au plan plus collectif, à l’échelle familiale du pays, de l’humanité, bien des maux qui nous tourmentent plus ou moins profondément, et des maux aussi qui prennent peut-être une tournure tout à fait actuelle dans la mesure où ils sont inédits. Qu’il y ait de l’agressivité dans le monde, cela n’est pas nouveau, mais il y a un type d’agressivité liée, par exemple, comme le signale le sociologue Hartmut Rosa, au fait que pour maintenir le statu quo de nos sociétés modernes occidentales, il faut sans cesse être dans la croissance, ce qui génère de l’agressivité, à l’égard notamment de l’environnement. Aussi la préoccupation écologique, que certains partagent plus ou moins, la menace d’un désastre écologique fait partie de ces éléments de confrontation au mal qui rendent la question du salut peut-être plus actuelle que jamais. Simplement, avec ce bémol que le salut chrétien n’est pas la proposition d’une réponse immédiate et concrète à des préoccupations d’ordre pratique, aussi dramatiques soient-elles. Et c’est le troisième point que je voudrais souligner, même si on pourrait dire encore beaucoup de choses à propos de l’actualité du salut, c’est qu’en fait, vivre du salut dans cette dimension la plus profonde qui est appel à consentir et à désirer une progressive conformation au Christ, en fait, cela rend libre. Libre pour aimer, et donc libre pour s’engager dans de nécessaires luttes contre l’injustice, la préparation d’un monde sinon meilleur, au moins pas aussi pire qu’il pourrait l’être pour les générations futures, et ainsi de suite. C’est peut-être quelque chose qu’on a tendance à négliger : l’horizon qu’ouvre une transformation personnelle dans le sens d’une plus grande liberté pour aimer, et aussi pour penser. Parce que plus on est libre intérieurement, plus on est libre de ses passions, de ses attachements désordonnés, plus on voit clair, finalement, sur ce qui concerne, pas simplement les autres, mais aussi soi-même, dans l’ordre d’une nécessaire transformation.

Oui, donc finalement, à la fois jamais d’actualité, toujours d’actualité quoi, le service…

Oui, c’est cela. Il y a quelque chose effectivement, de profondément inactuel au sens où cela ne répond pas à mon agenda, mon actualité ou la nôtre, mais en même temps très actuel, parce que finalement ce que Dieu nous… c’est comme si on demandait finalement à un enfant, est-ce que ce que tes parents te proposent, c’est dans ton actualité ? « Ben non, j’ai pas trop envie de retourner à l’école, ou… etc. » ; « Oui, mais c’est ton actualité, parce qu’il y a aussi en toi un désir de changement et de grandir et de… »

Dans les questions liées au salut, on voit que c’est une question également centrale dans les relations entre églises chrétiennes, je pense notamment à la question de la justification par la foi chez nos frères protestants. Alors est ce qu’on a envisage le salut de manières différentes, entre tradition chrétiennes, ou similaires ?

Alors déjà, je pense qu’à l’intérieur du catholicisme, on peut l’envisager de manière assez variée, mais si on essaie de dresser un panorama qui va au-delà de l’Église catholique, on pourrait dire dans un premier temps que dans les églises d’Orient (je pense à l’orthodoxie, et peut-être sans doute aussi certains aspects de la pensée la plus typique du catholicisme oriental), l’insistance n’est pas tellement sur la question qui a déchiré, on peut dire, l’Occident, à savoir celle du rapport entre la grâce de Dieu, sa toute-puissance, sa providence, d’un côté, et la liberté de l’homme, mais plutôt sur la divinisation, et les efforts ascétiques que l’on peut faire pour vivre de cette divinisation. Avec aussi dans l’orthodoxie la possibilité plus grande, notamment en référence à un auteur qui est contemporain de saint Augustin, le grand docteur occidental de la grâce, à savoir Grégoire de Nysse, la possibilité plus grande de penser un salut universel. Grégoire de Nysse était clairement universaliste. Ce qui est assez ironique, c’est qu’ il est considéré comme un Père de l’Église en Occident, alors que sur ce point-là, du point de vue occidental, il serait hérétique.
Si on s’intéresse maintenant au protestantisme, il faut considérer en fait les protestantismes (il y a toute une échelle), mais disons que le protestantisme le plus classique, le plus historique, à savoir celui de Luther, et aussi celui de Calvin, a tendance, dans la ligne de saint Augustin, et de certains textes de saint Paul, à insister sur la toute-puissance de Dieu et l’incapacité radicale de l’être humain à coopérer de quelque façon que ce soit à son salut, même simplement à l’accueil du salut. C’est particulièrement fort dans le calvinisme. Avec ici deux possibilités. Puisque d’une certaine manière, Dieu contrôle tout, mais vraiment absolument tout, la pensée assez cruelle et terrible : mais comment se fait-il qu’il ne sauve pas tout le monde puisqu’il pourrait sauver tout le monde ? Ou au contraire l’espoir beaucoup plus fondé que Dieu puisse sauver absolument tout le monde. On trouve cela peut-être chez Karl Barth. Il faudrait creuser la chose. Mais en tout cas dans le protestantisme contemporain, pourrait-on dire, il y a des tendances à une forme de prise de distance par rapport à cet héritage augustinien très marqué, avec des penseurs franchement universalistes, voire un qui est assez connu à l’échelle mondiale (il n’a pas encore été traduit en français), qui s’appelle Thomas Jay Oord, c’est un américain de l’Église Nazarénienne (c’est une petite dénomination protestante, que je ne connaissais pas) qui a écrit notamment un petit ouvrage qui s’appelle God can’t, qui est un ouvrage de vulgarisation de ce qu’il a écrit dans des ouvrages plus universitaires, dans lequel il soutient la thèse que Dieu, d’une certaine manière, ne peut rien contrôler, comme il dit, single-handedly, ce qu’on pourrait traduire « par lui tout seul ». Et donc, cela implique que la prédestination au sens augustinien du terme, c’est-à-dire que Dieu peut contrôler qui il va sauver de manière infaillible, n’est pas possible dans ce cadre-là. Et donc je pense, il faudrait vérifier, que ce théologien fait partie des théologiens universalistes… en tout cas qui pensent que Dieu attendra indéfiniment, même après la mort, que ceux qui lui résistent finissent par, d’une certaine manière, se rendre à l’évidence que le bien qu’ils cherchent, c’est en Dieu qu’ils pourront le trouver. Donc je pense qu’il y a quand même une assez grande variété de positions, même à l’intérieur du protestantisme, en raison notamment de deux choses : le fait qu’il est très pluriel et, deuxièmement qu’il n’y a pas de menace pour les théologiens, d’une sanction doctrinale trop forte. Ce qui n’est pas forcément le cas à l’intérieur du catholicisme, pour les théologiens de métier…

Très bien, nous approchons de la fin de ce podcast, auriez-vous un mot de la fin pour nos auditeurs ?

J’ai un petit peu réfléchi à la question, donc je pourrais dire en une phrase et en un mot : la phrase est la suivante, c’est que du point de vue chrétien, pas simplement catholique, une condition essentielle de notre accès au salut, bien sûr, c’est de l’accueillir et de l’accueillir, comme l’a rappelé le pape François en se référant à Sainte Thérèse de Lisieux, dont c’est le 150e anniversaire de la naissance (enfin c’était en 2023, et puis le 50e anniversaire de canonisation l’an prochain), « rien que par la confiance ». C’est « rien que par la confiance que nous parviendrons à l’Amour », dit sainte Thérèse de Lisieux [Phrase extraite de cette lettre de la sainte, d’une profondeur spirituelle incomparable]. Donc là, il y a une pensée profonde commune avec nos frères protestants. En tout cas, les plus classiques, de l’Église luthérienne principalement, et aussi les calvinistes, à savoir que le salut est accueilli dans une justification, c’est à dire un arrachement à la domination du péché, et une entrée dans la communion avec Dieu, pour laquelle l’unique condition nécessaire et suffisante est la foi, la confiance. « C’est par la confiance et rien que par la confiance que vous parviendrez », donc, au salut qui est « l’Amour ». Et puis, si je voulais le résumer en un mot, je dirais simplement : « Jésus ». Puisque Jésus veut dire « Dieu sauve », et en lui tout se résume. Tout ce que j’ai essayé de balbutier…

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