« Religion, pathologie, guérison », Revue théologique de Louvain, 26/1 (1995) 3-30
Dans cet article, Antoine Vergote étudie le rapport entre religion, guérison et santé mentale. Il traite notamment de Drewermann, Jung, Freud, des guérisons et du rôle de la religion chrétienne dans la santé ou la maladie psychique
Quelques extraits de cet article
p. 11 : la question du rapport entre santé mentale et religion ne se pose plus unanimement dans les termes d’une ancienne psychiatrie rationaliste pour laquelle la religion était l’humus empoisonné des folies qui ont nom d’extase mystique, de vision, de possession shamanique, voire de conversion religieuse
p. 19 : Faire appel, dans notre civilisation, aux textes religieux pour favoriser la guérison est donc à tous égards, religieux et psychologique, pousser à une mésalliance entre la religion et la psychologie. Du moins pour celui qui ne dissout pas la spécificité chrétienne dans la nébuleuse gnostique, et la rationalité philosophique et psychologique dans l’imaginaire des songes.
p. 23 : De l’observation que la causalité psychologique détermine la véritable pathologie mentale, il s’ensuit que la religion chrétienne ne peut pas causer celle-ci. Cela signifie également que la religion chrétienne ne peut pas non plus la guérir. Les observations cliniques l’attestent d’ailleurs. Une névrose de culpabilité, même à contenu manifeste religieux, ne cède ni aux meilleures informations théologiques, ni aux patients efforts qui voudraient rééduquer la conscience morale et affermir la confiance en Dieu. Les rechutes dans les fantasmes paranoïdes des hystériques les mieux intentionnés ont finalement, elles aussi, découragé et enseigné les conseillers ou directeurs de conscience les plus confiants et les plus patients. Aussi y a-t-il quelque ambiguïté gênante dans la parole que certains croyants aiment répéter dans le contexte du rapport entre psychologie et religion: «la grâce peut davantage». Davantage que quoi ? Si c’est «davantage que la psychologie», alors la proposition compare des ordres trop différents pour entrer dans une comparaison sensée.
p. 24s : S’opposer au recours à la religion chrétienne dans une visée proprement thérapeutique, n’est pas dénier à cette religion une influence favorable sur la santé mentale. Certes, le christianisme a également pu agir au détriment de la santé mentale, par exemple en créant le climat spirituel d’une terreur devant le jugement divin et d’une suspicion des pulsions sexuelles. Nous aimons désigner dans ce type de christianisme une «névrose collective», étant entendu que nous prenons ici le terme de névrose au sens dérivé. Quoi qu’il en ait été de certains épisodes de la religion chrétienne, nous croyons qu’elle exerce généralement une influence favorable sur la santé psychique de ceux qui sont croyants avec conviction et qui ont su intégrer leur foi dans leur personnalité. La foi leur donne la force confiante d’une filiation divine, elle élargit l’existence et lui donne une consonance de célébration; elle sollicite l’aveu des sentiments de culpabilité, prévient ainsi selon Freud la névrose de culpabilité, et elle fait retrouver une innocence en avant de soi, dans l’Autre qu’est Dieu…