Texte original et version complète de la traduction de la prière de Karl Rahner citée partiellement (avec des coupures) p. 165-166 de J.-B. Lecuit, Quand Dieu habite en l’homme, Cerf, 2010.
Les passages concernant plus directement la dimension dialogale de l’habitation de Dieu en l’homme sont surlignés.
Une traduction de ce texte a déjà été publiée dans Karl Rahner, Appels au Dieu du silence. Dix méditations, Mulhouse, Salvator, 1970 (4e édition ; trad. P. Kirchhoffer). Le passage cité se trouve p. 50s.
La traduction proposée ici est plus proche du texte original.
Karl RAHNER, Worte ins Schweigen, Innsbruck-Leipzig, Verlag Felizian Rauch, 1940 (1938), S. 45 ff. :
In der Taufe hast du, Vater, dein Wort durch mein Wesen hindurchgesprochen, das Wort, das vor allen Dingen war, wirklicher als sie, in dem alle Wirklichkeit und alles Leben erst Bestand hat. Dieses Wort, in dem allein das Leben ist, ist durch deine Tat, Gott der Gnade, meine Erfahrung geworden. Seiner wird der Geist nie überdrüssig, weil es eines und doch unendlich ist, es weilt nie zu lange in meinem Geist, so dass es langweilig werden könnte, weil es ewig ist, und so meinem [sic ; statt „meinen“] Geist selbst aus dem immerwährenden Wechsel selbst und der Unbeständigkeit hinüberzieht in die stille freudevolle Ruhe immer alten und immer neuen Besitzes von allem in einem. Dein Wort und deine Weisheit ist in mir, nicht /46/ weil ich dich mit meinem Begreifen erkenne, sondern weil ich von dir erkannt bin zu deinem Sohn und deinem Freund. Noch bedarf zwar dieses Wort, das, aus deinem Herzen dir wesensgleich geboren, in mein Herz hineingesprochen wurde, für mich der Auslegung durch das äußere Wort, das im Glauben durch Hören aufgenommen wird. Noch ist dein lebendiges Wort mir dunkel, noch tönt es aus den letzten Tiefen meines Herzens, in die du es ausgesprochen hast, nur leise und wie im fernen Widerhall in die Vordergründe meines bewussten Lebens hinein, in denen mein Wissen sich breit macht, das Wissen, das Missmut und Geistesplage wirkt und nichts als die bittere Erfahrung, dass es vergessen wird und Vergessen verdient, weil es aus sich nie Einheit und Leben wird. Und doch ist hinter all dieser Mühe und Geistesplage jetzt schon ein anderes „Wissen“ in mir gnadenvolle Wirklichkeit: DeinWort und dein ewiges Licht.
Wachse in mir, strahl in mir immer mehr auf, erleuchte mich, ewiges Licht, süßes Licht der Seele. Ertöne in mir immer vernehmlicher, Wort des Vaters, Word der Liebe, Jesus. Du hast gesagt, dass du uns alles geoffenbart hast, was du vom Vater gehört hast. Dein Wort ist wahr. Denn was du vom Vater gehört hast, bist du selber, Wort /47/ des Vaters, das um sich selber und um den Vater weiß. Und du bist mein, du Wort über allen Menschenworten, du Licht, vor dem alles irdische Licht Nacht wird. Du allein sollst mir leuchten, du allein mir reden. Alles, was ich sonst noch weiß und lernte, soll mir nichts sein als in Weggeleite zu dir, soll mich in dem Leid, das es mir nach dem Word deines Weisen bereitet, reif machen, dich immer besser zu verstehen. Wenn es bewirkt hat, dann darf es selber wieder schwinden in Vergessenheit.
Dann wirst du einmal das letzte Wort sein, das einzige, das bleibt und das man nie vergisst. Dann, wenn einmal im Tode alles schweigen wird und ich ausgelernt und ausgelitten habe. Dann wird das große Schweigen beginnen, in das du allein hineintönst, du Wort von Ewigkeit zu Ewigkeit. Dann werden alle Menschenworte verstummt sein, Sein und Wissen, Erkennen und Erfahren werden dasselbe geworden sein: “Ich werde erkennen, wie ich erkannt bin”, werde verstehen, was du mir schon immer gesagt hast: dich selber. Kein Menschenwort, kein Bild und kein Begriff wird mehr zwischen mir und dir stehen, du selbst wirst das eine Jubelwort der Liebe und des Lebens sein, das alle Räume meiner Seele füllt.
Karl RAHNER, Worte ins Schweigen, Innsbruck-Leipzig, Verlag Felizian Rauch, 1940 (1938), 45 s, trad. J.-B. Lecuit :
Lors du Baptême, Père, tu as prononcé ta Parole à travers mon être, la Parole qui était avant toutes choses, plus réelle qu’elles, et en qui toute réalité et toute vie peuvent exister durablement. Cette Parole, en qui seule est la vie, est par ton action, Dieu de la grâce, devenue mon expérience. L’esprit ne s’en lasse jamais, car elle est une et pourtant infinie ; elle ne séjourne jamais trop longtemps dans mon esprit, comme si elle pouvait devenir ennuyeuse du fait qu’elle est éternelle, et ainsi elle tire mon esprit même du changement perpétuel et de l’inconstance pour l’élever au calme et joyeux repos de la possession toujours ancienne et toujours nouvelle de tout en un. Ta Parole et ta Sagesse est en moi, non /46/ parce que je te connais par ma faculté de comprendre, mais parce que je suis connu de toi comme ton fils et ton ami. Encore faut-il que cette Parole, qui, née de ton cœur de même nature que toi, fut prononcée à l’intérieur de mon cœur, soit interprétée pour moi par la parole extérieure, qui est accueillie dans la foi par l’écoute. Ta parole de vie m’est encore obscure ; depuis les ultimes profondeurs de mon cœur, dans lesquelles tu l’as prononcée, elle retentit encore, mais faiblement et comme en un écho lointain, jusqu’aux premiers plans de ma vie consciente, où mon savoir s’installe, le savoir qui engendre la morosité et le tourment spirituel, et en fin de compte l’amère expérience qu’il tombe dans l’oubli et mérite l’oubli, car il ne débouche jamais sur l’unité et la vie. Et pourtant, derrière toute cette peine et ce tourment spirituel, un autre “savoir” est déjà en moi, réalité pleine de grâce : ta parole et ta lumière éternelle.
Grandis en moi, rayonne en moi toujours plus, illumine-moi, lumière éternelle, douce lumière de l’âme. Retentis en moi de façon toujours plus audible, Parole du Père, Parole de l’amour, Jésus. Tu as dit que tu nous as tous révélé ce que tu as entendu du Père. Ta Parole est véridique. Car ce que tu as entendu du Père, tu l’es toi-même, Parole /47/ du Père, qui se connaît elle-même et connaît le Père. Et tu es mienne, toi Parole au-dessus de toutes les paroles humaines, toi Lumière, devant laquelle toute lumière terrestre se fait nuit. Toi seul, tu dois m’éclairer, toi seul me parler. Tout ce que je sais d’autre et que j’ai appris, ne doit m’être rien d’autre qu’une escorte vers toi ; tout ce savoir, dans la souffrance qu’il me cause, d’après la parole de ton sage, doit me préparer à te comprendre toujours mieux. Quand il aura produit cet effet, il pourra à nouveau tomber dans l’oubli.
Alors tu seras la dernière Parole, la seule qui demeure et que l’on n’oublie jamais. Alors, quand dans la mort tout fera silence et que seront achevés mon apprentissage et ma souffrance. Alors commencera le grand silence, dans lequel toi seul retentis, toi Parole d’éternité en éternité. Alors toutes les paroles humaines se seront tues ; être et savoir, connaître et expérimenter seront devenus la même chose : “je connaîtrai comme je suis connu” [1 Co 13, 12], je comprendrai ce que tu m’as toujours dit : toi-même. Aucune parole humaine, aucune image et aucun concept ne se tiendront plus entre moi et toi, toi-même seras l’unique parole de jubilation de l’amour et de la vie, qui remplira tous les espaces de mon âme.